Fête de la Sainte Trinité

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 1997-1998

Dieu n'est pas évident.

Dans la société d'aujourd'hui, beaucoup de gens s'en passent et ne s'en portent pas plus mal. Beaucoup ont une famille, des amis, une profession honorable, un emploi qui leur donne des ressources pécuniaires leur permettant d'accéder aux biens matériels, culturels, aux loisirs, aux voyages.

Sans nécessairement croire en Dieu, ils cultivent des valeurs humaines comme l'équité, la justice, la tolérance et la philanthropie. Lorsque les épreuves surviennent, comme la maladie, la mort, ils font preuve de courage et de dignité.

Il ne faut donc pas nécessairement croire en Dieu pour être heureux.

Dieu n'est pas évident.

Mais il y a cependant tous ceux qui y croient, qui lui font confiance et lui font une place plus ou moins grande dans leur vie !

Certains ont pour mission d'amener les autres à croire en Lui. Mais, hélas, ils s'en servent bien souvent pour imposer leur vues. Ils disent : "Dieu exige ceci." ou "Dieu interdit cela"

Et avec menaces à l'appui : la damnation éternelle, le paradis.

Maintenant qu'on vienne dire que Dieu est Trinité, ne change rien à rien. ce n'est qu'un exercice intellectuel pour théologiens. De toutes manières, c'est hors de la vie ! En plus, cela irrite aujourd'hui les frères musulmans qu'il nous arrive de cotoyer.

Eux insistent sur l'unicité de Dieu. Pour eux, il est l'Unique.

Ce qui intéresse : c'est de passer au mieux le peu de temps qu'on a sur la terre. Car la vie est si courte et le bonheur si rare. Les jeunes font des projets. Puis la vie a tôt fait de leur faire prendre conscience de la réalité : les enfants, le ménage, les maladies, les deuils, les séparations, aujourd'hui les divorces, l'avenir incertain, les inquiétudes et les souffrances.

Quand on est heureux, il arrive même parfois que l'on en soit gêné, devant tous les malheurs qui atteignent les autres.

Et puis, petit à petit, on en vient à comprendre qu'il n'y a pas de bonheur sans amour ; sans amour qui se donne et sans amour qu'on reçoit.

Il n'y a pas de bonheur sans amour, quand on veut vivre seul ou replié sur soi.

Dans ma vie pastorale déjà longue, j'ai sans doute rencontré beaucoup de gens, auxquels j'ai donné un peu de mon temps, de mon dévouement, un peu de mon coeur ! Mais j'en ai reçu bien davantage de leur part ! Et si je devais écrire mes souvenirs, j'intitulerais mon livre : "Ils m'ont apporté tant de bonheur !"

Quand on est chrétien, on est invité à comprendre que Dieu lui-même, non plus, ne veut pas être seul, tout là-haut, dans son ciel, dominant la terre, écrasant de sa toute-puissance. Pour Dieu, il faut être trois pour donner, pour recevoir, pour échanger, pour aimer.

C'est ce que nous explique l'évangile que nous venons de lire.

C'est le Père qui, dans sa bonté, envoie l'Esprit sur la terre et sur les hommes. Déjà dans le passé, maintes fois, il fit don de son Esprit, de son souffle de vie. Depuis la création du monde, où l'Esprit de Dieu planant sur les eaux, transforma le chaos initial, séparant la lumière des ténèbres, les eaux d'avec la terre ferme. Dans son immense Sagesse, il créa les grands luminaires, le soleil, la lune, les étoiles ; et tous les êtres vivants.

C'est encore son Esprit, son Souffle de vie, que le Père insuffle en l'homme et en la femme, pour les créer à son image. Tout au long de l'histoire humaine c'est le Père qui envoie ainsi son Esprit sur les hommes, depuis Abraham, en passant par Moïse et tant de prophètes, connus ou inconnus. Aujourd'hui, encore dans sa tendresse, il nous donne son Esprit, à nous qui sommes croyants. "Cet Esprit qui vient du Père, c'est l'Esprit de vérité." nous dit Jésus.

Guidés par cet Esprit qui nous est donné, nous allons aujourd'hui à la rencontre du Christ.

"Il me glorifiera." dit encore Jésus. "Il prendra de ce qui vient de moi pour vous l'expliquer.

Ce que j'ai à vous dire, pour l'instant, vous n'avez la force de le porter. Plus tard, il vous mènera vers la vérité toute entière."

Ainsi aujourd'hui, c'est le rôle de l'Esprit de Dieu de nous guider vers Jésus, l'homme de Nazareth, celui sur lequel il repose entièrement depuis son baptême au Jourdain, parce que Dieu le reconnaît comme son Fils, sa propre image.

Alors, en regardant cet homme de Nazareth agir avec humanité, c'est Dieu le Père lui-même que nous découvrons. "Tout ce qui appartient au Père est à moi." nous dit Jésus.

Ce qui a frappé les disciples dans l'évangile, c'est le lien permanent qui existe entre Jésus et son Père. "Qui me voit, voit le Père." "Il y a tant d'années que tu es avec moi, Philippe, et tu n'as pas encore compris que je suis dans le Père et que le Père est en moi."

Le Christ Jésus nous ramène sans cesse vers le Père. C'est ainsi que nous prenons conscience que nous entrons nous-mêmes dans ce mouvement divin. Dieu donne et reçoit. Dieu donne l'Esprit à Jésus qui le reçoit et qui réfère tout son amour au Père. Le cercle est donc bouclé. Le mouvement de l'un à l'autre est complet.

Ce qui est extraordinaire, c'est que, recevant nous même l'Esprit qui vient du Père, celui-ci nous mène vers Jésus, qui à son tour nous conduit au Père. Avec Jésus, nous entrons dans le mouvement de retour vers le Père. Placé entre l'Esprit et Jésus, nous sommes insérré dans le mouvement trinitaire.

On a souvent représenté la Sainte Trinité par un triangle isosèle, ayant les trois côtés et les trois angles égaux. La pointe, représentant le Père, est au sommet et la base en dessous.

Ne faudrait -il pas le renverser et le mettre sur sa pointe ? En élargissant la base du triangle, placée cette fois en haut, depuis l'Esprit à gauche jusqu'au Fils à droite et en y plaçant toute l'humanité, l'angle du Père à la base aurait tendance à s'élargir jusqu'à faire du triangle un cercle. Le mouvement dans lequel nous serions inclus serait ainsi circulaire. Partant vers la gauche, c'est le Père qui envoie son Esprit. Celui-ci vient en nous pour nous conduire vers le Fils, qui lui ramène vers le Père. Pour conclure, je dirais volontiers que c'est ce mouvement qui donne sens à tout amour humain, seul source de bonheur ! Recevoir et donner, sont les deux composantes du mystère de Dieu. Pour recevoir, il faut les autres. Pour donner, il faut aussi les autres. Dans notre monde moderne, où chacun est marqué par l'individualisme, on admet encore facilement de donner, mais recevoir des autres est plus difficile, car chacun veut être autonome et libre. On cherche à monter, peut-être pas bien haut, mais tout seul. Recevoir, c'est admettre sa pauvreté, admettre que l'on a besoin des autres. Comme dans le mystère Trinitaire, il n'y a pas de bonheur pour nous sans que nous recevions des autres et sans que nous leur donnions.