L'EUCHARISTIE, MULTIPLICATION DE L'AMOUR
De Moïse à Elie, d'Isaïe à Jean-Baptiste, les prophètes ont proclamé la Parole de Dieu, se sont donnés à leur mission jusqu'à en mourir, mais nul d'entre eux n'a jamais eu l''idée de se donner à manger à ses disciples. Comment Jésus, et lui seul, a-t-il osé dire : « Mangez : ceci est mon corps ....»? Comment ses disciples n'en ont-ils pas été épouvantés ? Comment tout au contraire ont-ils fait de la réitération de cet acte le rite constructeur de leur communauté - car on dira : « L'Eucharistie fait l'Eglise » ? Comment Saül de Tarse, qui avait hurlé de rage en apprenant que certains de ses compatriotes célébraient ce rite, en est-il devenu l'apôtre intrépide ? En 56, il écrit à la communauté de Corinthe qu'il a fondée en 51-52 (20 ans à peine après le Golgotha) : « Je vous ai transmis ce que j'ai reçu ». Cette pratique n'est pas de son invention, comme s'il avait voulu copier certains repas des religions païennes : il l'a acceptée de l'Eglise qui, dès son origine, célébrait donc l'Eucharistie. Elle voulait refaire l'acte ultime de Jésus : « la nuit qu'il fut livré, le Seigneur Jésus prit du pain... ». Dans sa Passion, il paraîtra un « objet » que les puissants se passent de l'un à l'autre : son Repas prouvait à ses disciples qu'en réalité il était « sujet » libre. Donc manger son Pain et boire à sa Coupe, c'est « faire mémoire de lui...proclamer la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne ». Le souvenir du crucifié devient partage aujourd'hui de sa Vie pour l'ouverture à un avenir de Gloire. Ainsi est scellée, et sans cesse commémorée, « le premier jour de chaque semaine » (1 Cor 16, 2), « la Nouvelle Alliance ». La Croix passée devient Repas présent pour une espérance future.
L'Eucharistie est sacrement de la FOI, elle provoque une communauté d'AMOUR qu'elle guide sur le chemin de l'ESPERANCE. La mémoire actuelle de Jésus passé lance à la rencontre de Jésus Seigneur.
L'EUCHARISTIE ANTICIPEE
Ce dernier repas de Jésus avec les siens a été précédé par la convivialité vécue naguère sur les chemins de Galilée et surtout par un certain jour où, avec eux, il a nourri une foule - geste tellement mémorable qu'il est le seul « miracle » qui soit narré par les 4 évangélistes. Luc ne cherche pas à nous persuader de la réalité historique d'un scoop. L'intérêt profond de cette scène est de nous aider à comprendre le mystère de l'Eucharistie dont elle est le signe prémonitoire évident.
Pour cela, il est important de commencer la lecture un peu plus haut.
Ayant réuni les Douze, il leur donna de guérir les maladies. Il les envoya proclamer le Règne de Dieu et faire des guérisons. Ils partirent, allant de village en village (..........)
A leur retour, les apôtres racontèrent à Jésus tout ce qu'ils avaient fait. Il les emmena et se retira à l'écart du côté de Bethsaïde. L'ayant appris, les foules le suivirent. Jésus les accueillit : il leur parlait du Règne de Dieu à la foule et il guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Les Douze s'approchèrent de lui : « Renvoie cette foule ; ils pourront aller dans les villages des environs pour y loger et trouver de quoi manger ». Jésus leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! ». Ils répondent : « Nous n'avons pas plus de 5 pains et 2 poissons - à moins d'aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde ! » (Il y avait bien 5000 hommes). Jésus leur dit : « Faites-les asseoir par groupes de 50 ». Ils obéirent et firent asseoir tout le monde.
Jésus PRIT les 5 pains et les 2 poissons et, levant les yeux au ciel, il les BENIT, les ROMPIT et les DONNA aux disciples pour qu'ils les DONNENT à tout le monde.
Tous mangèrent à leur faim et l'on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit 12 paniers.
PROCLAMER LE REGNE DE DIEU. Surtout ne pas omettre le début : Jésus parle. « Au commencement est la Parole ». L'action essentielle de Jésus dès son baptême a été de parler, d'annoncer la Bonne Nouvelle : écoutez, faites-moi confiance, Dieu m'a envoyé pour inaugurer son Règne sur terre. N'attendez pas des apparitions fulgurantes, décidez-vous en toute liberté, rompez avec le mal, commencez à vivre comme je vous l'enseigne, soyez le changement que vous rêvez pour le monde. Ne croyez pas les sages « à qui on ne la fait pas », les blasés qui reviennent de tout et ne vont nulle part, les prudents qui se résignent (surtout au malheur des autres).
Donc le repas de Jésus est d'abord Parole reçue, accueillie, « mangée » parce qu'elle fait vivre. Une des erreurs monstrueuses de l'Eglise a été, pendant des siècles, de rendre la proclamation de la Parole - lectures et homélie - facultative : ne parlait-on pas d' «avant-messe » ? Et, malgré la rectification du concile Vatican II, on en paie encore les conséquences : beaucoup de chrétiens trouvent banal d'arriver en retard à la célébration et ils ne prêtent guère attention à l'enseignement. Tous les peuples savent pourtant que tout repas commence par un échange de paroles. La messe n'est pas un self-service !
GUERIR LES CORPS.
En appui à cette Parole, Jésus opère des guérisons. Non pour prouver sa puissance et presser à la conversion mais parce que le Royaume de Dieu n'est pas une réalité évanescente, et que l'homme est corps et âme et qu'une piété désincarnée serait signe d'une religion aliénante.
Donc la prédication doit être accompagnée par une charité thérapeutique mais celle-ci n'est pas le tout. Jésus ne vide pas les hôpitaux car la bonne santé n'est pas la solution finale ainsi que le montre notre la société où les exploits de la médecine n'empêchent pas les dépressions, les suicides, les adductions aux alcools et aux drogues. Donner une pièce, un vêtement, un médicament n'est qu'un préalable à plus.
PARTAGER LE PAIN.
De prime abord le fait étonne, éveille le scepticisme : y avait-il urgence de nourrir ces gens - qui d'ailleurs ne demandaient rien ? N'est-ce pas une légende ? Mais une lecture attentive perçoit comment ce récit prophétise le dernier repas de Jésus et les Eucharisties célébrées par les premières communautés.
- Le soir approche : heure de la dernière Cène, du souper d'Emmaüs et des réunions chrétiennes.
- À l'écart, endroit désert. L'eucharistie n'est pas une cérémonie publique : la communauté se retire.
- Autour de Jésus, il y a le groupe particulier des apôtres. Excédés parfois par la lourdeur de la foule, ils seraient parfois tentés de la renvoyer d'autant qu'ils ne disposent guère de moyens et sont accablés par les problèmes à résoudre (« Nous n'avons que 5 pains... »). Jésus leur ordonne de donner eux-mêmes ce qu'ils ont, même si cela leur paraît dérisoire en face des nécessités. Les apôtres n'ont pas à faire des collectes sans avoir d'abord donné ce qu'ils détiennent car c'est à partir de leurs dons que Jésus va agir.
- Jésus PREND nos dons...prononce dessus L'EUCHARISTIE (action de grâce à son Père)...ROMPT (car il est important que chaque communiant reçoive non une hostie séparée mais un morceau d'un ensemble : ainsi peut-il comprendre qu'il est membre d'une communauté et que le don de Jésus unifie les hommes en UN)...puis Jésus DONNE.. à ses apôtres qui, à leur tour, DONNENT.
- Tous rassasiés. Les nourritures terrestres calment nos besoins pour un temps tandis que le Pain du Seigneur comble notre c½ur. Aucun trésor, aucun cadeau ne peut valoir le DON DE DIEU ; aucun plaisir, aucune joie ne peut atteindre la joie d'être pardonnés, introduits dans le Royaume du Père comme des enfants bien-aimés, membres vivants du Corps du Christ, dans l'espérance de la Gloire éternelle.
- 12 paniers de restes. Aucune messe n'épuise le don de Dieu, chaque Eucharistie s'origine à la précédente et envoie vers la suivante. Les apôtres qui s'étaient dépouillés constatent qu'ils ont toujours des surplus car la source de l'amour du Christ ne tarit jamais, elle rejaillit toujours à nouveau pour ceux qui ont accepté de quitter une société où chacun accumule au détriment des autres pour entrer dans une communauté où le don de chacun devient l'avoir de tous.
Merveille de l'Eucharistie, du Partage du Corps et du Sang du Seigneur. Véritable « communauté de consommation » où le convive reçoit dans la mesure où il a donné, où la Parole de Vie devient Pain partagé afin que s'accomplisse, de dimanche en dimanche, la communion en Christ. Donc la communion fraternelle.
Le Corps et le Sang du Seigneur
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2012-2013