Funérailles

Auteur: Charles Dominique
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2012-2013

Funérailles du frère Jean-Marie Van Cangh
Bruxelles -- 25 mai 2013


Os 2,16-17 et 21-22 ; Mt 5,1-16

Nul ne peut voir Dieu sans mourir ! C'est ce que Moïse, le grand ami de Dieu, a entendu sur le mont Sinaï. Pour accéder à la vision du Dieu caché, nous n'avons pas d'autre possibilité que d'emprunter le chemin pascal de Jésus qui passe inévitablement par la mort : « Je suis le chemin », celui « qui me suit ne marche pas dans l'obscurité, il aura la lumière de la vie ». Pour suivre le Christ dans ce passage, pour passer par la porte étroite, il nous faut tout perdre et entrer dans l'obscurité de la mort avec lui, afin de trouver la lumière de la vie avec lui.

La mort est ce moment douloureux de notre vie où nous sommes contraints de tout lâcher, de tout abandonner. C'est un moment que notre frère Jean-Marie redoutait, lui qui avait tant d'attaches et tant d'amitiés auxquelles il demeurait très fidèle. Or, le moment de la mort est un dur moment de rupture : nos mains ne peuvent plus saisir la main de ceux que nous aimons. D'autres nous portent et prennent soin de nous.

Jean-Marie redoutait de devoir tout laisser : il aimait les bonnes choses et surtout de les faire déguster à ceux qu'il aimait : le bon vin, les bonnes trappistes, les pralines des meilleurs chocolatiers de Bruxelles, le saumon sauvage... Il aimait inviter ses amis dans un restaurant où il allait depuis des années. À Jérusalem, il arrivait toujours avec une valise pleine de bonnes choses à offrir. Jean-Marie aimait la vie et souhaitait la quitter le plus tard possible.
Mais il y a eu cette maladie qui l'a contraint peu à peu à se rendre à l'évidence : le moment de tout quitter approchait plus vite qu'il ne l'avait souhaité. Il l'a dit ou écrit à certains de ses frères. Pour faire le passage pascal, il lui fallait saisir la main de son grand Ami en qui il avait placé toute sa confiance, tenir cette seule main de Jésus et tout laisser : « Père, en tes mains, je remets ma vie ! »

Quand on a cherché toute sa vie le vrai visage de Jésus, comme le fit notre frère Jean-Marie, en scrutant les textes du Nouveau Testament et de la tradition juive, désireux de connaître l'homme de Nazareth qu'il avait choisi de suivre et d'aimer passionnément, à qui il avait donné toute sa vie, il est nécessaire un jour de tout lâcher pour se jeter, sans filets, dans les bras du Crucifié : nul ne peut voir Dieu s'il ne se laisse dépouiller de toutes ses attaches, pour s'avancer avec confiance dans l'inconnu, en tenant la main du Christ, comme Pierre qui s'est écrié quand il s'enfonçait dans l'eau du lac : « Seigneur, sauve-moi ! » Probablement que Jean-Marie a poussé ce cri en saisissant la main du grand Ami.

Il avait en effet une relation très personnelle et très affective à Jésus. Il s'était lancé dans une quête ininterrompue de Jésus de Nazareth en consacrant une bonne part de sa vie à la recherche de l'arrière-fond hébraïque de l'évangile de Marc et, plus largement, des sources juives du Nouveau Testament. Nous l'avons entendu prêcher ici avec conviction en citant des mots araméens, la langue de Jésus. Cette passion provenait certainement de sa rencontre avec David Flusser dont il parlait souvent avec beaucoup de vénération. Il a ainsi cherché à reconstituer les paroles que Jésus aurait prononcées au cours de son dernier repas.
Et voilà que Celui qu'il a voulu mieux connaître par ses recherches faites à Louvain-la-Neuve et à l'École Biblique de Jérusalem, est venu mardi matin lui saisir la main pour l'entraîner dans sa gloire. Il voit maintenant en vérité Celui qu'il a cherché dans la foi. Deux Béatitudes me semblent particulièrement bien convenir à notre frère Jean-Marie.

D'abord, « heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés » : il était en effet animé d'une grande préoccupation pour les Églises d'Orient et pour tous ces chrétiens du Moyen Orient qui souffrent tellement en Iraq, en Syrie et en Palestine ; à Jérusalem, il avait de grands amis palestiniens mais il avait aussi de grands amis juifs ; la situation de nos frères en Iraq le préoccupait beaucoup ; il a dépensé beaucoup de ses énergies à la diffusion de la revue « Solidarité-orient » et à soutenir des étudiants en leur accordant des bourses d'études.

Une autre béatitude convient bien à notre frère : « heureux les miséricordieux car il leur sera fait miséricorde. » Comme notre Père saint Dominique, Jean-Marie était immensément accueillant à tous ceux qui avaient besoin d'aide, surtout les chrétiens du Moyen-Orient. Il a noué de nombreuses amitiés, tant avec ceux qu'il avait accueillis et soutenus qu'avec ses anciens étudiants de l'UCL et les membres de l'équipe de foyers de Bruxelles auxquels il était très attaché. Il aimait aussi organiser les rencontres annuelles des académies internationales de Sciences Religieuses et de Philosophie des Sciences ; il devait y faire une conférence cette semaine à Athènes, sur le premier concile qui eut lieu à Jérusalem ; ayant dû renoncer à s'y rendre, il a envoyé son texte il y a quelques jours afin qu'on en fasse la lecture en son absence.

Jean-Marie était un homme fidèle dans toutes ses relations et très attentifs aux personnes. Il n'oubliait rien. Ainsi, il y a un an et demi, de retour du musée d'Israël à Jérusalem, je lui ai dit comme j'avais admiré le tableau de saint Pierre peint par Rembrandt qu'il appréciait tout particulièrement lui aussi. Au retour de son dernier voyage à Jérusalem, tout récemment, il m'a apporté un grand poster de ce tableau.

Face à la mort, nous demeurons silencieux. C'est l'heure de la rupture, de la séparation, de l'absence, du mystère... Nous n'avons pas de réponse sinon, dans la foi, celle de la solidarité de Dieu qui s'est exprimée en Jésus qui, sur la Croix, a offert sa vie pour nous faire vivre. Quel mystère ! Mystère de la présence cachée d'un Dieu fidèle sur notre route, qui a promis d'être toujours avec nous, même dans le grand passage de la mort. Comme il est bon d'entendre aujourd'hui ces promesses de Dieu dans le livre d'Osée : « je te fiancerai à moi pour toujours dans la justice, le droit, la tendresse et la miséricorde ! Je te fiancerai dans la fidélité et tu connaîtras Adonaï ! » Ces mots sont pour le peuple de Dieu ; ils sont aussi pour Jean-Marie aujourd'hui. Je les lis en hébreu, c'est un clin d'½il... :

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La mort est ce moment unique où s'accomplit, dans un grand secret, notre rencontre personnelle avec Dieu. Dans un moment de communion silencieuse, confions Jean-Marie à Celui que notre Père saint Dominique appelait « mon Dieu, ma miséricorde ».

Frère Dominique CHARLES o.p.