En décembre 1940, dans un stalag allemand, une foule de soldats français se morfondaient, prisonniers, écrasés par la défaite. Comme Noël approchait, un prêtre demanda à l'un d'eux, qui était professeur de philosophie et qui avait déjà publié plusieurs livres, d'écrire un jeu scénique. Bien que totalement incroyant, le professeur (35 ans) accepta et écrivit une pièce intitulée "Bariona" avec le projet de rendre espoir aux prisonniers de tous bords, croyants et incroyants. Il se prit lui-même au jeu, mit en scène son ½uvre et y interpréta le rôle d'un roi mage avec tellement de zèle et de conviction qu'il conduisit un camarade à la conversion.
Après la libération, cet écrivain devint très célèbre, suscitant d'âpres polémiques et s'attirant louange et haine. Après avoir longtemps refusé, il accepta que le texte de cette pièce de Noël soit publié à l'intention de ses anciens camarades.
C'est ainsi que, il y a quelques années, l'abbé René Laurentin, théologien, découvrit cette oeuvre et, publiant un florilège des plus beaux textes écrits sur la Vierge Marie depuis 2000 ans, il y glissa un extrait de cette pièce en disant : "Cette page accède à l'essentiel...Une description sublime...S'il fallait jeter à la mer les textes de (mon) livre, c'est un des dix que je garderais" ( R. Laurentin : Marie, Mère du Seigneur ; éd. Desclée 1984)
UN ATHÉE PARLE DE MARIE ET SON ENFANT
Vers la fin de la pièce, un montreur d'images, aveugle, évoque la scène de la nativité à Bethléem et voici comment il s'adresse à la foule :
" La Vierge est pâle et elle regarde l'enfant. Ce qu'il faudrait peindre sur son visage, c'est un émerveillement anxieux qui n'a paru qu'une fois sur une figure humaine. Car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles.
Elle l'a porté neuf mois et lui donnera le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Et par moments, la tentation est si forte qu'elle oublie qu'il est Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit : " Mon petit".
Mais à d'autres moments, elle demeure interdite et elle pense : Dieu est là, et elle est prise d'une horreur religieuse pour ce Dieu muet, pour cet enfant terrifiant. Toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments devant ce fragment rebelle de leur chair qu'est leur enfant, et elles se sentent en exil devant cette vie neuve qu'on a faite avec leur vie et qu'habitent des pensées étrangères. Mais aucun enfant n'a été plus cruellement et plus rapidement arraché à sa mère, car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu'elle peut imaginer...
Mais je pense qu'il y a aussi d'autres moments, rapides et glissants, où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle, et qu'il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : " Ce Dieu est mon enfant. Cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux ; et cette forme de ma bouche, c'est la forme de la mienne, il me ressemble. Il est Dieu et il me ressemble".
Et aucune femme n'a eu de la sorte son Dieu pour elle seule, un Dieu tout petit qu'on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu'on peut toucher et qui rit.
Et c'est dans ces moments-là que je peindrais Marie si j'étais peintre".
Qui est l'auteur de cette page : ? C'est Jean-Paul Sartre lui-même, lui s'est toujours déclaré farouchement athée et qui osa écrire tant de blasphèmes. Dans son autobiographie ("Les mots"), il raconte qu'il reçut une éducation chrétienne, qu'il fit sa communion....mais il sentit que cette éducation était purement formaliste, sans âme, sans véritable foi. Et tout jeune adolescent, il se déclara un jour :" Dieu ? Il n'existe pas ". Point c'est tout. Néanmoins l'écrivain ambitieux qui venait de rater le prix Goncourt avec son roman "La Nausée" et qui voulait faire une grande carrière n'avait pas oublié la scène apprise au catéchisme. Mieux que les prêtres du stalag, il sut évoquer - et avec quelle délicatesse ! - la relation unique entre Marie et son nouveau-né.
Qui est ce Jésus dont on ne finit pas de parler ? Nouveau-né semblable aux autres et Dieu ! Comment était-ce possible ? L'impossible a eu lieu, l'incroyable s'est réalisé.
Et il se réalise encore. Car le salut de notre existence ne peut se réduire à un vague souvenir d'un événement passé ni se projeter dans un avenir indéfini.
NOËL DANS L'EUCHARISTIE
Il ne suffirait pas, comme Sartre le suggérait, de peindre la scène. Le chef d'½uvre de Dieu ne peut rester enfermé dans les musées. Noël doit se réaliser tout au long de l'histoire. Le salut est présent - au double sens du mot : présent aujourd'hui......et présent comme cadeau.
Car ce n'est pas pour rien que Jésus est né dans le village de Bethléem - mot qui signifie "maison du pain" - et que sa mère Marie le déposa sur la paille d'une crèche c'est-à-dire d'une mangeoire.
Dès son apparition, il se manifestait comme un Dieu qui ne veut plus être dans les étoiles mais qui, par amour, a envie de nous habiter, de demeurer en nous. Il n'a pas besoin d'édifices somptueux, de cathédrales gigantesques : ce qu'il veut, c'est nous aimer, habiter notre c½ur. S'incarner tous les jours.
C'est pourquoi Jésus, à la fin de sa vie, au moment de mourir, chercha le moyen de re-naître dans nos c½urs et il inventa le repas eucharistique. Et depuis lors, chaque dimanche il invite les hommes et les femmes, les jeunes et les âgés, les bergers et les mages, les pauvres et les savants, à se rassembler, à tendre leur main puis à ouvrir leur coeur à sa présence. Afin qu'ils apparaissent et agissent comme Sa Présence réelle dans l'aujourd'hui des siècles.
Notre pape Benoît XVI disait la semaine passée :
" C'est le Fils du Dieu vivant qui s'est fait homme à Bethléem... Un Dieu qui s'est fait notre prochain, qui a du temps pour chacun de nous... "Une telle chose est-elle possible ?" ... Nous nous serions inclinés plus facilement devant une Puissance ; mais Lui ne veut pas que nous nous inclinions. Il fait appel à notre c½ur et à notre libre choix d'accepter son amour. Il s'est incarné librement pour nous rendre véritablement libres. Libres de l'aimer". Libres pour nous aimer.
JOYEUX NOËL A TOUS.