Je ne sais pas si vous le savez mais les anglais rient de nous. Non pas du fait que nous soyons belges, d'autres s'en chargent alors que ces derniers n'ont aucun humour sur eux-mêmes. Non les anglais rient de nous qui sommes francophones. Ils trouvent tout à fait incompréhensible que nous les francophones nous attendions que l'Académie française se soit prononcée pour que nous reconnaissions qu'un mot puisse être considéré comme faisant partie du vocabulaire français. Il est vrai qu'il n'existe pas une Académie anglaise qui remplit ce type de fonction. Si le mot est utilisé, il fera son entrée dans un dictionnaire et voilà que le mot se met à vivre dans la langue de Shakespeare.
Trouvant la remarque d'Outre-Manche tout à fait pertinente, je me suis dit qu'il était temps de se mettre, en ce temps de Noël à inventer des mots et de clamer bien fort que je me moquais de savoir ce qu'en penseraient les académiciens de Paris. Il y a quelques semaines, je proposais le mot " victimisé " pour décrire ces gens qui se font passer pour victime alors qu'ils ne le sont pas du tout et donc, par leur attitude sont une insulte aux vraies victimes. Cette nuit, je vous propose un nouveau verbe " imprévoir ".
Reconnaissons-le, il n'est pas toujours aisé de faire face à l'imprévu car ce dernier bouleverse nos plans, nos certitudes. L'imprévu peut être tellement dérangeant que, comme je vous le disais, même la langue française n'a pas prévu le verbe " imprévoir ". Je l'ai donc inventé. Imprévoir est un verbe paradoxal par essence, car il ne m'est pas possible d'imprévoir quelque chose puisque si je l'imprévois, d'une certaine manière je prévois de ne pas prévoir. Certains se disent peut-être que ce ne sont que des mots. Et pourtant, si je veux entrer dans le mystère de ce Dieu qui s'incarne en notre humanité en cette nuit de Noël, je dois quelque part l'imprévoir. Ce qui n'est pas évident à faire tant nous aimons contrôler ce qui nous arrive, avoir une emprise sur les événements et parfois sur les personnes. Maîtriser les choses et les gens pour se sécuriser. Prévoir me rassure, imprévoir peut me donner le vertige puisque je n'ai plus de prise. Pour dépasser cela, toutes et tous nous sommes invités à faire, à refaire constamment un chemin d'abandon où nous lâchons prise c'est-à-dire où nous faisons tout simplement confiance. Confiance en la vie, confiance en un Dieu qui se révèle à nous de manière tellement imprévisible.
Mais l'imprévisible du divin n'est pas si éloigné de notre quotidien. En effet, c'est lorsque je me mets à imprévoir que souvent des choses se passent. Qui d'entre nous n'a pas vécu cette expérience où désirant trouver l'âme s½ur se met à la chercher à tout prix et finit par tomber dans sa solitude puisqu'elle ne vient pas. De dépit, s'arrêtant alors de chercher, voilà qu'elle apparaît. Cela vaut pour l'âme s½ur comme pour tant d'autres petits événements ou désirs à réaliser. Il paraît que cela s'appelle la loi de Murphy, tiens voilà nos anglo-saxons qui reviennent.
Selon cette loi, si nous nous attendons à quelque chose rien n'arrive et lorsque nous n'y pensons plus, cela vient. Comment est-ce possible ? Peut-être tout simplement pour la raison suivante : lorsque nous prévoyons, nous contrôlons, nous ne sommes plus pleinement naturels, plus nous-mêmes, nous réfléchissons trop. Quand nous imprévoyons, nous redevenons qui nous sommes, nous nous abandonnons à la vie, nous nous ouvrons au temps qui s'écoule à notre rythme, en fait nous permettons à la liberté de s'épanouir à nouveau puisque nous avons choisi de ne plus maîtriser. Imprévoir nous rend plus disponible, plus ouvert au changement, plus capable de nous remettre en question. Imprévoir exige cette confiance au mystère qui nous rassemble.
En effet, l'imprévu est de l'ordre du divin. Dieu refuse que nous l'enfermions dans des cases comme nous le faisons trop souvent avec nos contemporains. Il se révèle à nous là où nous ne l'attendions pas, dans l'imprévu de la crêche. Nous aurions pu l'imaginer arriver sur un nuage entouré d'une armée d'anges pour régner sur notre terre. Et voilà qu'il veut nous surprendre, nous imprévoir, nous convier à le découvrir là où il se laisse dévoiler dans la simplicité, dans la fragilité de l'existence. Dieu s'est fait homme. Dieu s'est fait bébé. Non pas pour nous impressionner mais pour que nous acceptions que c'est dans l'accueil de cet imprévu que le flot de la vie peut s'écouler.
Un enfant nous est né, un sauveur nous est donné. Et face à l'enfant de la crêche nous ne pouvons qu'imprévoir ce que Dieu essaye de nous dire. Cette nuit, il nous envoie un signe. Celui de reprendre du temps pour remettre de la confiance, dans la vie, dans les relations. Prendre le temps de se réapproprier le plaisir de s'abandonner. Etre face à nos existence comme l'enfant Dieu dans sa crêche : c'est-à-dire en toute confiance, pétri d'une espérance en ce Dieu qui se révéle à nous et en nous, dans nos lieux de fragilité là où brille notre vérité intérieure. Dieu ne se maîtrise pas. L'être humain ne se maîtrise pas. Dieu s'imprévoit et s'invite chez nous, ici, sur terre cette nuit pour qu'une fois encore nous nous laissions surprendre par ce chemin de vie qu'il nous propose. Et le chemin de Dieu, c'est tout tendrement ce bonheur à trouver en nous et entre nous. Ce bonheur porte le visage d'un enfant, d'un tout-petit.
A chacune et chacun de nous de comprendre ce que la lumière de l'enfant-Dieu vient nous dire en cette nuit de Noël. Et pour ce faire, quittons nos désirs de puissance et de contrôle, lâchons prise et laissons de l'espace au temps pour que l'imprévu de Noël nous illumine de son mystère dans la confiance et l'espérance que la vie est belle et vaut tellement la peine d'être vécue passionnément. Si c'est vraiment cela Noël, alors Joyeux Noël.
Amen.