QUAND LE FILS DÉCOUVRE SON VRAI PÈRE
Inséré entre les deux fêtes de Noël et de l'Epiphanie qui nous présentent Jésus à peine né, l'évangile de ce dimanche, dit « de la Sainte Famille », nous projette déjà une douzaine d'années plus tard dans l'épisode célèbre du recouvrement de Jésus au temple. Que s'est-il passé pendant cet intervalle et ensuite, au long de la vingtaine d'années qui nous séparent du baptême ? Rien n'en est dit. Une vie familiale ordinaire. Comme nous. Le quotidien sans histoire n'est pas perte de temps mais maturation, attente sereine.
Chaque année, les parents de Jésus allaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Quand il eut 12 ans, ils firent le pèlerinage suivant la coutume.
En racontant la Naissance, Luc a bien noté que les parents de Jésus étaient de bons citoyens de l'Empire, obéissant au décret du recensement de la population, même dans des conditions pénibles. De même à la Présentation de Jésus au temple au 40ème jour, et à nouveau ici, Luc rappelle qu'ils étaient de fidèles observateurs de la Loi juive. Cette insistance est importante car, à l'époque de Luc, les Autorités, romaine et juive, s'inquiétaient devant l'étonnante expansion des communautés chrétiennes. Il fallait souligner que le fondateur et ses disciples ne sont pas des révolutionnaires qui complotent contre les pouvoirs en place mais d'honnêtes personnes obéissant aux lois et coutumes. La foi chrétienne n'est pas anarchiste.
Néanmoins il est vrai que, lorsqu'elle est pratiquée dans toute sa vérité, elle a bien une portée subversive pour le désordre social. Ce que les Pouvoirs remarquent très vite ! Jean-Baptiste, Jésus, Pierre et Paul ont été arrêtés et exécutés par les autorités : ce n'est pas un hasard.
La fête de Pâque est, on ne l'ignore pas, la grande fête de printemps, le mémorial de la libération des Hébreux esclaves en Egypte. Au départ, fête familiale, elle était devenue, depuis la réforme du roi Josias, une fête de pèlerinage obligatoire à Jérusalem et elle durait 8 jours. Et si l'âge de Jésus est précisé, c'est parce que c'est à ce moment qu'il fait, comme on dit aujourd'hui, sa « bar-mitsvah » (fils des commandements). En ce jour de fête pour lui, il a l'honneur d'être appelé au lutrin et de proclamer en public, pour la première fois, une page de la Torah. Dorénavant il est un vrai « fils d'Israël, tenu d'observer tous les engagements de la Loi.. Jésus va montrer qu'il en a pleine conscience.
JESUS FAIT UNE FUGUE
Comme ils s'en retournaient à la fin de la semaine, le jeune Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s'en aperçoivent. Pensant qu'il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances. Ne le trouvant pas, ils revinrent à Jérusalem en continuant à le chercher.
A l'époque on vit en grande famille, en clan, les enfants passent souvent chez une tante, les cousins, les voisins. Mais qu'il ne revienne pas près de ses parents, voila qui devient inquiétant. On s'informe dans le groupe : non il ne se trouve pas dans la caravane des Galiléens qui remontent dans leur région. Un peu affolés, Joseph et Marie retournent dans la capitale.
C'est au bout de 3 jours qu'ils le trouvent dans le temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l'entendaient s'extasiaient sur son intelligence et ses réponses.
D'habitude on retrouve les enfants perdus au rayon jouets ou chez les copains : Jésus doit être le seul petit garçon qui disparaisse pour aller au catéchisme ! Il a remarqué les grands maîtres qui, sur le parvis, donnaient des cours de lecture de la Torah, exposaient les sens cachés des textes sacrés, transmettaient les trésors de la tradition. Jésus, passionné par leur intelligence, était assis parmi le groupe d'auditeurs. Contrairement à certaines représentations des peintres (« Jésus au milieu des docteurs »), il n'enseigne pas les maîtres : il les écoute, pose une question respectueuse. Les maîtres, surpris et amusés, interrogent le petit et eux, les spécialistes, s'émerveillent de découvrir combien ce tout jeune Galiléen, issu de la campagne, connaît déjà les Ecritures. Il est passionné d'apprendre. Et nous ?...
En le voyant, ses parents furent stupéfaits et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ». Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne savez-vous pas que je dois être chez mon père ? ».
Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.
Marie et Joseph ont vécu une terrible détresse, ces derniers jours ont été épouvantables et pourtant leur fils leur répond qu'ils auraient dû comprendre. Grâce à ses réflexions sur les Ecritures et sa prière, Jésus a pris conscience que celui qu'on appelle Dieu, YHWH, le Créateur, le Seigneur, est SON PERE et qu'il est son FILS au sens propre. Donc le Temple, maison de Dieu, est aussi sa maison à lui, le Fils. Au temple, en s'appliquant à percer le secret des textes saints, il est CHEZ SON PERE. C'est là sa vraie demeure, c'est là qu'il DOIT ÊTRE. La maison de Joseph n'est plus que « sa résidence secondaire ». Réponse incompréhensible pour Marie et Joseph
Il descendit avec eux pour rentrer à Nazareth et il leur était soumis.
Sa mère gardait dans son c½ur tous ces événements.
Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes.
L'incident se clôt sur cette réplique mystérieuse et, après le voyage, la vie va reprendre son cours normal dans le petit village. Le jeune adolescent ne donnera pas des cours d'exégèse, ne fera pas de miracles, ne portera pas d'auréole. Il va apprendre le métier de son père (remarquez que Luc a donné ce nom à Joseph) et poursuivre ses études et ses prières sous le regard de son Père dont il sait l'amour et la proximité.
Marie garde mémoire du souvenir douloureux. Vingt ans plus tard, son fils va lui échapper à nouveau car il lui faudra aller chez son Père à Jérusalem. Scandalisé par les dérives religieuses, il voudra « purifier » la Demeure de Dieu. Les grands prêtres ne reconnaîtront pas le Fils et, au contraire, le traitant d'impie et de blasphémateur, ils le supprimeront comme dangereux. Mais en agonisant sur la croix, sans condamner ses bourreaux, Jésus murmurera : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ».
Ainsi la dernière phrase qu'il prononce correspond à la première qu'on avait gardée de ses 12 ans : « Il faut que je sois chez mon père ». Le sens de ma vie est de rejoindre mon Père que j'aime. Si la Maison de pierres me rejette, la mort m'emportera enfin près de lui.
Et à celui qui croit en moi, comme le bon larron, je lui dirai en confidence : « Aujourd'hui tu seras avec moi au paradis ». Car la Maison de mon Père est aussi la tienne, toi qui, par la foi, devient fils de Dieu.
Ah que ces journées seront des heures d'agonie pour Marie, la mère ! Elle « cherchera » son fils disparu...mais « le recouvrement » se fera « le 3ème jour ». Ce qu'elle avait « gardé dans le c½ur » depuis tant d'années s'éclairera enfin. « Il fallait » ! Elle, qui avait déjà perdu son époux, pouvait, en toute confiance, poursuivre sa route, en compagnie des apôtres et des nouveaux croyants : grâce à la croix du Fils, l'existence est un pèlerinage vers la Nouvelle Jérusalem, une aspiration irrépressible à rejoindre la Maison du ciel où le Père rassemble tous ses enfants en une seule Famille.
CONCLUSIONS
Magnifique tâche des parents et enseignants chrétiens : transmettre le trésor des Ecritures aux enfants. Leur apprendre à lire avec leur c½ur, à prier doucement le « NOTRE PERE... », à découvrir leur privilège d'être « enfants de Dieu ». Leur faire aimer la « maison de l'Eglise ». Et puis les inviter à inventer leur avenir, leur permettre de partir, de chercher leur propre chemin, de « faire leur pâque » personnelle, leur passage dans le monde de la liberté. Les avertir qu'ils devront souffrir par l'Eglise, qu'ils seront déçus par elle, même par ses responsables. Mais les assurer que, au bout de la route, quelles que soient leurs lourdes chutes, en donnant leur vie, ils pourront se jeter dans les bras du Père.
Il faut quitter père et mère de famille pour découvrir le Père de la famille des humains. Que cette conviction nous entraîne à vivre une foi universelle.
Sainte Famille, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps de Noël
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013