Vous connaissez peut-être la blague de cette jeune femme disant
à son mari qui vient juste de rentrer du travail : « Mon amour, j'ai une grande nouvelle pour toi : très bientôt nous serons trois dans cette maison au lieu de deux ! » Vous pouvez imaginer la joie du mari. Mais cette joie est de courte durée puisque sa femme poursuit : « Je suis bien contente que tu le prennes comme ça. Ta belle-mère arrive demain matin et vient habiter chez nous. »
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La famille --dans tout ce qu'elle a de complexe-- a toujours été source d'inspiration pour ce genre d'humour, car elle est depuis la nuit des temps lieu de joie comme de souffrances et de déchirement. ??Heureusement, la famille que nous célébrons aujourd'hui n'est pas un modèle, dont l'exemple serait à suivre. C'est pour cela que --qui que nous soyons-- nous pouvons nous réjouir de cette fête, quelles que soient nos familles, composées, décomposées ou recomposées.
En effet, avouez qu'il faut une bonne dose d'humour pour fêter la « sainte famille » en nous présentant un ado qui fugue
et fausse compagnie à ses parents sans prévenir
en leur rappelant qu'il doit être aux affaires de « son Père ». Ambiance !
Mais aujourd'hui, s'il y en a un modèle à suivre, ce n'est pas celui d'une structure familiale modèle, mais Jésus, qui nous offre ce que j'appellerais l' « art de la fugue ».?
Au sens premier, l'art de la fugue est le nom donné à une ½uvre de Jean-Sébastien Bach. La fugue est ce style de musique dans lequel différentes lignes mélodiques se suivent, se succèdent et semblent fuir et se poursuivre tour à tour. Si vous voulez, c'est le principe du canon, en plus élaboré. Et ce qui est extraordinaire dans ce style d'écriture, c'est que l'ensemble forme une harmonie, malgré le décalage. Voilà pour le sens premier et musical de la fugue.
Je vous propose ce soir un autre sens de l' « art de la fugue. La 'fugue' de Jésus de Nazareth. Elle n'est pas à prendre au sens littéral comme un récit historique de la fuite d'un ado, mais plutôt au sens théologique. ». ???Quelle que soit la composition familiale, il est toujours possible de prendre son propre chemin, où ce qui semble un décalage n'est pas une fuite.
Pour Jésus, ce chemin est celui de sa Pâques, l'accomplissement de sa destinée la plus intime. Voilà l'exode, le passage, la Pâques de Jésus qui s'annonce, esquissée déjà dans ce récit de l'enfance et que Marie et Joseph ne comprennent pas encore.
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Mais pour nous aussi, la vie est comme une fugue, où les événements arrivent à temps et à contretemps. Certains d'entre nous auront tendance à entrer très vite dans la partition de leur vie et leur chemin sera source d'inspiration pour d'autres. D'autres puiseront leur inspiration dans des précurseurs qui leur auront donné le ton juste. D'autres encore, plus discrets, prendront du temps avant d'entrer dans danse avant de chanter leur propre mélodie. Finalement, peu importe notre entrée dans la vie. Comme dans une partition, l'important est que nous adoptions un thème que nous n'avons pas choisi au départ, et que nous le fassions nôtre. ?
Combien de parents n'ont-ils pas l'impression de perdre leur enfant quand son chemin diverge radicalement de leurs projets? Sentiment de perte, d'arrachement, de fuite ou d'abandon. Et pourtant... nos vies sont comme ces partitions où ce qui semble une fuite à première vue, peut être ?l'annonce d'un nouveau départ. ??Peu importe la manière avec laquelle nous sommes entrés dans nos familles. ?L'important est de jouer sa ligne mélodique, d'être soi-même en harmonie, quel que soit notre point de départ. ?Et voilà que la fugue devient un art, l'art de vivre ensemble.
Voilà aussi ce qu'est l'art de l'éducation : faire en sorte que chacun puisse être libre, puisse quitter les sentiers balisés en étant conscient de ses limites ! Eduquer signifie bien « conduire hors de », « ex-ducere ». Grandir en sagesse consiste donc à se libérer des structures qui nous empêchent d'être nous mêmes, en restant conscient que sans ces attaches, nous ne serions pas non plus qui nous sommes.
Alors, quelle que soit l'histoire tortueuse ou non de notre entrée dans le monde, nous sommes inscrits dans une famille qui nous précède. Et si notre c½ur nous accuse parce que nous croyons être en décalage par rapport aux autres, nous ne le sommes pas par rapport à Dieu. Car nous sommes tous adoptés, fils et filles adoptifs de Dieu, nous dit Saint Jean. ??Quelles que soient les joies et les blessures de nos existences familiales, une famille plus grande nous précède. A nous d'y entrer, à notre rythme, dans cette famille où tout le monde trouve sa place. Amen.
Sainte Famille, année C
- Auteur: Croonenberghs Didier
- Temps liturgique: Temps de Noël
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013