Il y a quelques années, j'ai eu le plaisir de rencontrer une des s½urs qui faisait partie du Conseil général de la congrégation fondée par Mère Térésa, récemment béatifiée. Elle disait à celles et ceux qui participaient à cette conversation à quel point cette dernière était autoritaire et contrôlait tout. Une telle remarque rendait évidemment ce personnage déjà si médiatique moins sympathique. Mère Térésa, femme autoritaire ?
Etonnant d'entendre cela à propos de quelqu'un qui a donné sa vie pour un si bel objectif. Elle serait donc moins sainte qu'on aurait pu le croire. Ce n'est pas dit. Cela dépend de la manière dont est comprise la sainteté. Les saints, constate Charles Singer dans Terre aux Editions du Signe, sont très souvent devenus des images figées dans des vitraux ou collées sur certains murs où ils ne dérangent plus grand monde. Un certain art religieux, une certaine théologie et une certaine piété, poursuit cet auteur, ont proposé des saints et des saintes qui n'ont plus rien d'humain tellement ils dégoulinent de mièvrerie. Ils ont des corps androgynes, comme s'il fallait renier sa masculinité ou sa féminité. Leurs têtes sont légèrement penchées comme pour acquiescer et jouir à l'avance des mauvais coups à endurer pour plaire à Dieu. Leurs mains sont jointes, comme pour serrer sur quelque trésor unique et surtout refuser de toucher au monde si souillant. Leurs lèvres sont closes en un sourire béat, comme pour éviter de goûter aux plaisirs des sens. Les couleurs de leurs vêtements sont bleu pastel et rose doux, comme pour gommer toute agressivité. Présenter les saintes et les saints de la sorte, c'est fournir des images trompeuses, voire même mensongères.
En effet, les saints et les saintes sont des traces de Dieu au c½ur de notre monde. Tout au long de leur vie terrestre, par leurs actes et leurs paroles, ils donnent à voir et à entendre Celui qui habite au plus profond d'eux et qui donnent sens à leur existence c'est-à-dire Dieu. Ces hommes et ces femmes sont réels, avec leur esprit et leur corps, avec leurs mains et leurs engagements, avec leurs fragilités et leurs forces, avec leur bonheur de vivre et leurs souffrances. C'est de cette manière, dans leur profonde humanité qu'ils sont les véritables reflets de Dieu. Par leur façon de vivre, ils sont les vraies traces de Dieu sur terre et donc sont loin d'être des superhéros. En d'autres termes, par leur justice et leur bonté, par leur travail solidaire et leur pauvreté, par la réalité de leur vie, ils sont, dans la réalité terrestre, les traces visibles de l'amour de Dieu invisible, conclut Charles Singer. Et combien cet auteur a raison car les saintes et les saints, sont comme nous, loin d'être parfaits. Heureusement d'ailleurs car s'ils étaient parfaits, ils n'intéresseraient sans doute personne sauf peut-être quelques magazines spécialisés présentant des êtres qui n'existeraient nulle part ailleurs que sur leurs photos glacées car ils ne feraient plus partie de l'humanité réelle.
Un certain type de piété, de théologie, d'art religieux ont donc mis dans la culture des représentations de perfection lisse, sans aspérités, de douceur tellement douce qu'elle en devient mièvre, fade. Détrompons-nous et rejetons de telles images, les saints collectionnent les défauts et c'est la raison pour laquelle, ils sont nos frères et s½urs en humanité. C'est ainsi qu'ils sont les traces de Dieu, puisqu'à travers leur défaillante humanité ils laissent émerger la toute puissante passion de Dieu pour ses créatures. Les saints ne sont donc ni sur les autels, ni dans certains livres pieux, ni dans les peintures ou les vitraux. Les saintes et les saints sont sur la terre.
S'inspirant de l'esprit de l'évangile, animés par l'esprit du Christ, ces hommes et ces femmes font progresser l'humanité vers la vie en grand. Ils et elles sont ici. Parmi nous. C'est vous, c'est moi. En Dieu, l'appel de la vie est un appel à la sainteté. Non pas une sainteté dégoulinante de mièvrerie, mais une sainteté façonnée par notre réalité terrestre, à partir des êtres que nous sommes. Par le témoignage de notre foi, nous devenons signes visibles de la présence de Dieu sur notre terre. C'est de cette manière que s'exprime notre sainteté. Notre ombre et notre lumière la constituent. S'il en est ainsi, malgré ses propres défauts, Mère Teresa était une sainte et il est heureux qu'elle ait été reconnue comme telle. Ne craignons plus le tout de notre être et devenons, animés par l'Esprit Saint, traces de l'amour de Dieu sur cette terre.
Amen.