Toussaint

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 1/11/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

LA VRAIE VIE EST SAINTETÉ ET BONHEUR

Rien n’est plus opposé à l’ambiance actuelle du jour de Toussaint dans notre société que le climat de cette fête dans la liturgie. Tristesse et exultation. Brouillard et lumière. Regret du passé et espérance de l’avenir. Chrysanthèmes nostalgiques et joyeuse agitation des palmes. Odes funèbres et alléluias.
Non que les chrétiens ne soient pas meurtris par la disparition des êtres aimés. Non que leurs larmes ne coulent de leurs plaies jamais refermées. Car la mort n’est jamais banale : elle est l’ennemie implacable, la traîtresse sournoise, celle à laquelle on ne s’habitue jamais, celle qu’il faut combattre sans pitié. Mais le chrétien a l’audace de la narguer : « Ô mort, où est ta victoire ? » (1 Cor 15,55) et il sait qu’elle sera le dernier ennemi vaincu (1 Cor 15,26)
Les lectures du jour jettent une lueur sur notre destinée.

L’ASSEMBLEE UNIVERSELLE EN LOUANGE    (Apocalypse 7, 2-14)

 « J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, peuples et langues. Ils se tiennent debout devant le trône de Dieu et de l’Agneau (Jésus), en vêtements blancs, des palmes à la main et ils proclament : « Le salut est donné par notre Dieu et par l’Agneau ». Et tous les anges se prosternent pour adorer Dieu en disant : « Amen ! Louange, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance à notre Dieu »….Tous ces gens viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau.    
Jean a eu la grâce d’une Révélation (sens du mot « apocalypse ») et il est bien obligé d’évoquer « le ciel » (sans espace ni temps) en termes humains. Contrairement à la petite phrase de l’autre dimanche qui nous inquiétait (« Beaucoup d’appelés, peu d’élus « ), sa vision nous dilate : la multitude des humains sauvés, de toutes origines est innombrable, enfin rassemblés dans la concorde sans fissure et sans rivalité. Eux tous que la mort avait couchés dans la poussière, sont debout, ressuscités ; eux tous qui avaient été souillés par le péché sont en pleine clarté ; eux tous qui avaient tant pleuré et souffert chantent leur joie inaltérable.
Ils n’ont pas mené une vie paisible : chacun d’eux a dû se débattre dans « la grande épreuve » -la vie terrestre- parmi des tentations de toutes sortes qui cherchaient à les faire dévier du chemin. Mais aucun ne se targue d’être un héros qui a réussi sa vie à force d’efforts. Tous, sans exception, bénéficient de la grâce, du salut qui leur est donné par Dieu et par Jésus, l’Agneau pascal qui s’est offert pour leur donner le pardon de leurs fautes (image du vêtement blanc)
Si la terre était une cacophonie de cris, de hurlements, de plaintes, d’explosions meurtrières, le ciel est un chœur parfait. L’humanité y est comblée : droite, unie, libérée, lumineuse, joyeuse, elle réalise sa plénitude dans l’adoration.  Car l’homme est fait pour la louange.

LE CIEL DEJA MAINTENANT      (1ère Lettre de Jean 3, 1-3)

Nous parlions des cris, des blessures, des haines, des guerres qui déchirent la terre et nous aspirions à un au-delà où enfin nous pourrions goûter la paix. Jean nous détrompe : lui qui a vu l’horreur du Golgotha et connu les assassinats d’Etienne, Jacques, Pierre, Paul et tant d’autres, lui qui a vu s’abattre sur les chrétiens une opposition haineuse qui ne désarmait jamais, lui qui a souffert de voir les baptisés s’affronter, se disputer, se déchirer, lui, Jean, tant de fois déçu, ose rappeler à ses frères leur grandeur actuelle, leur dignité inaliénable : oui, dès maintenant, « nous sommes enfants de Dieu ».

Mes bien-aimés, voyez comme il est grand l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés « enfants de Dieu » - et nous le sommes. Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaitre : parce qu’il n’a pas découvert Dieu….Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne parait pas encore pleinement. Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. Tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur.
Oui Jésus nous a révélé que Dieu était Père, que son projet était de nous compter parmi ses enfants. Nos péchés sont si grands et ils nous paraissent incurables, nos échecs sont si répétés et ils nous découragent, les sarcasmes de nos adversaires sont si caustiques et leurs coups font si mal…Et cependant, oui, nous croyons Jean : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croit en lui ait la Vie éternelle » (Jn 3,15) … Celui qui croit a la vie éternelle » (3,36)…Celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle…il est passé de la mort à la vie (5, 24)…Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (6, 54).
La foi, pour Jean, n’est pas qu’espérance : elle est transfiguration actuelle. Les yeux fixés sur l’horizon de gloire, elle goûte dès aujourd’hui le présent vivifiant du Père. Certes cette vie nouvelle se distingue mal, même pour celui qui l’a reçue, et elle n’est qu’illusion, folie pour ses ennemis qui ont beau jeu de s’en moquer. Mais bousculé par le péché, convaincu de ne pouvoir jamais le vaincre par ses propres forces, et parfois tenaillé par le doute, le croyant sait qu’ « il est passé » de l’oppression de la mort à la liberté du vivant et qu’il ne ment pas lorsqu’il ose murmurer : « Père ».

LA SAINTETE EST BONHEUR   (Evangile de Matthieu 5, 1-12)

Comment espérer s’épanouir dans l’adoration universelle (1re lecture) et comment vivre en « enfants de Dieu »(2ème) ? En s’engageant sur le chemin des 8 béatitudes, programme inverse de celui proposé par une société qui cherche la consommation des choses au lieu de la «consommation », la plénitude des personnes. Les 4 paires pointent les 4 attitudes fondamentales à vivre.

L’HUMILITE

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
La pauvreté n’est pas d’abord celle du portefeuille, elle est « du cœur », refus de l’orgueil, de la suffisance. Mais elle engage à la douceur c.à.d. au refus de la cupidité, de la rapacité pour avoir toujours plus. Car l’amour ne peut que partager donc s’appauvrir.

L’ESPERANCE

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Il ne s’agit pas des pleurnichards ni de ceux qui souffrent du deuil mais de ceux qui ne supportent pas l’état actuel des choses avec tant de haines, de désastres, d’affamés, d’injustices et qui ont faim d’une autre société régie par le droit où toute personne sera respectée, où éclatera la Louange à Dieu

LE CŒUR COMPATISSANT

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Le cœur simple est unifié par le double amour qui n’en fait qu’un : Tu aimeras Dieu de tout toi-même et tu aimeras ton prochain qui souffre, comme toi- même.

LA VOLONTE DE PAIX

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
On ne crie pas à la paix, on ne l’installe pas d’un coup de baguette : on la bâtit, pierre par pierre. Sourire contre colère. Main ouverte contre poing fermé. Engagement contre résignation. Artisanat de génie.

Finale : ce programme est tellement contraire à l’ordinaire qu’il sera toujours combattu par beaucoup. Le chrétien vit le paradoxe : pécheur, il ne doute pas de son Père ; attaqué il connaît le bonheur. Les béatitudes ne sont pas une utopie mais une prophétie, l’esquisse du monde à venir, le chemin par lequel nous pouvons devenir TOUS…SAINTS !