Troisième dimanche de Carême (B)

Auteur: Michel Van Aerde
Date de rédaction: 4/03/18
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2017-2018

« Il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs. » Que signifie cette attitude de Jésus à l’égard de l’argent ? « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Pouvons-nous nous passer de l’argent ? Plus radicalement pouvons-nous cesser de commercer ? Le commerce, n’est-ce pas simplement le fait d’échanger, d’être en relation, de s’entraider ?

On disait jadis de quelqu’un d’agréable « il est d’un doux commerce », c’est à dire qu’on se plaît de parler avec lui. Où est le problème ? Est-ce celui du libre-échange ? Est-ce celui de l’argent ? L’Église, depuis l’histoire de Simon que l’on appelle de manière péjorative, le « magicien », dans les Actes des Apôtres, qui avait perçu tout l’intérêt économique que l’on pouvait retirer de la foi, l’Église a interdit de faire payer les sacrements. Cela doit rester un service gratuit. Répétons-le une fois : cela doit rester un service gratuit. Ou disons peut être, avec plus de réalisme : cela devrait rester un service gratuit car, dans la pratique, cela n’est pas tout à fait le cas… sauf si vraiment vous n’avez aucun moyen. La gratuité donc. « Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement !» Et nous avons tellement reçu, gratuitement ! Un petit rappel sur ce sujet car nous sommes souvent prêts à l’oublier. Nous avons reçu la vie gratuitement. Nous avons reçu notre éducation, notre formation gratuitement. D’autres ont payé pour nous, comme pour tant d’autres choses dont nous bénéficions. Alors faudrait-il , comme beaucoup de penseurs et d’idéalistes avant nous, rêver d’un monde sans argent ? Il me semble qu’après tant d’efforts pour le réaliser et tant de désillusions, nous y avons renoncé. Un monde où chacun ferait de son mieux pour s’entraider, gratuitement… En ce qui me concerne, je suis plutôt porté à considérer que la vraie spiritualité, la vraie morale n’est pas de rejeter l’argent, ni les rapports de commerce, mais tout au contraire de les valoriser, les humaniser, les évangéliser. C’est là que se passe l’essentiel et pas ailleurs, c’est là qu’il faut établir les vraies solidarités et pas ailleurs, c’est là qu’il faut s’interroger sur notre comportement. De quoi vivez-vous ? Comment répartissez-vous les biens qui vous sont confiés ? Comment les faites-vous prospérer ? L’argent, les échanges économiques, sont un langage auquel nous pouvons de moins en moins échapper, qui disent nos rapports, humains ou inhumains. Et rien ne nous oblige à durcir ces échanges, à chercher à toujours maximiser, à tout réaliser suivant des rapports de force où nous cherchons notre avantage. Rien ne nous empêche d’introduire ici ou là de la gratuité, de la générosité, une absence de « raison ». Dans la Bible il est question de la Loi, la loi de Dieu. Ainsi, suivant la Loi, il ne devait pas y avoir d’autre monnaie dans le Temple que celle du Temple, d’où la nécessité de changeurs, comme si l’on avait changé de pays. Dans notre vie, il est beaucoup question des lois économiques. Or Jésus est allé au-delà de Moïse. Nous pouvons aussi aller au-delà des lois économiques du donnant-donnant. Nous pouvons introduire un peu de folie, un peu de gratuité. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes, dit saint Paul. Le propre de Dieu est peut-être la gratuité. Il offre la vie, le monde, la vérité, gratuitement. Il nous aime gratuitement. Il nous pardonne gratuitement. Il est la pleine gratuité. Non pas seulement le donnant donnant, d’une belle réciprocité. Il est le don avant le contre-don. Il est le don qui n’exige pas le contre-don. Il est le pardon, le pardon, superlatif du don. La gratuité suppose une éventuelle absence de réponse. En cas de totale ingratitude, la gratuité suppose l’acceptation de sa propre mort. La gratuité fait peur, on craint une supercherie ou une erreur. Elle déstabilise les relations de symétrie, donnant-donnant. Entrer en gratuité, c’est faire l’expérience du Dieu de Jésus. C’est là qu’il se trouve, qu’il est présent. C’est une autre façon de parler du Temple, c’est un autre nom pour l’amour. J’ai lu quelque part que des scientifiques ont observé qu’il y a plus de joie à avoir donné quelques sous à un pauvre, qu’à s’être acheté quelque chose avec la même somme d’argent. Vous vous achetez un nouveau smartphone et vous en êtes tout ragaillardi pendant 2 jours. Vous donnez la même somme à quelqu’un qui en a vraiment besoin, à quelqu’un qui a besoin de manger, de se loger ou d’étudier, et vous en êtes fier pendant deux mois sinon trois ans. Voilà un remède efficace et pas cher à la dépression. Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. (Ac 20, 35). C’est pourquoi Dieu s’est fait pauvre, pour pouvoir recevoir de nous et nous permettre d’être heureux avec lui. Il est d’un agréable commerce. Il est infiniment généreux. C’est désarmant, renversant. Nous l’avons entendu : « ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. »  Faut-il dire qu’il joue à « qui perd gagne » ou qu’il investit avec le maximum de risque. « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ». Son trésor, c’est notre cœur. Et ce qui est donné est donné. Il n’y a aucune exigence de retour. Celui qui s’imagine qu’il faut ceci ou qu’il faut faire cela, n’a toujours rien compris à cette gratuité qui présence Dieu, source de liberté. Celui qui est généreux, parce qu’il y trouve sa joie, parce que cela lui plaît, celui-là a tout compris. Dieu nous appelle à être de vrais gagnants, des winners, à son exemple, heureux, joyeux comme lui.  Certains vont peut être trouver que c’est trop théorique ou abstrait ? Mais qu’est-ce qui est concret ? Si l’argent, le porte-monnaie n’est pas concret, il reste le corps, qui est le lieu le plus sûr, d’où l’on ne peut pas s’abstraire, le lieu le plus tangible, où l’on peut être touché. Et c’est justement son corps que Jésus présente en garantie, et que nous allons recevoir tout à l’heure, gratuitement, en communion. Jésus ne possède rien d’autre que son corps, et c’est là qu’il est présent : « Détruisez ce temple et dans trois jours je le rebâtirai ».