Avec quelques-uns, nous avons eu un profond échange sur ce passage de l’Évangile. Et j’ai trouvé intéressant de vous le partager ; tant il me semble éclairer les lectures d’aujourd’hui, rejoindre certains questionnements et, peut-être, dissiper quelques malentendus qui persistent.
La pierre d’achoppement était le mot « rançon », dans le verset que nous venons de lire : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Peut-on encore, de nos jours, parler de « rançon » ? Ne vaudrait-il pas mieux traduire « donner sa vie pour la libération de la multitude » ? Il y a, dans la notion de rançon, celle de rachat, d’échange économique, l’idée qu’il faut payer. N’est-ce pas finalement une théologie d’un autre temps ? Du sacrifice de soi, pour rendre au Christ le don de Lui-même ?
Que les choses soient claires : vous n’avez aucune dette envers Dieu ; vous ne lui devez rien. C’est en effet une fausse et dangereuse théologie. Nous avons lu la semaine passée l’Évangile du jeune homme riche, auquel le Christ conseille de donner son argent au pauvre. Il ne lui dit pas : « tu dois donner ton argent au pauvre » ; le texte insiste sur le fait que Jésus l’aima bien avant de lui conseiller la pauvreté. La proposition était simplement d’avancer dans son cœur la venue du Royaume. Et si le texte nous dit que le jeune homme riche repartit triste ; il n’y a aucune trace de réprobation par Jésus, ni d’un geste, d’une parole pour le retenir.
Vous n’avez pas de dette envers Dieu, ni pour le bonheur ; ni pour le malheur. La plupart des gens qu’un malheur accable n’ont rien fait pour mériter ça ; ils sont purement innocents. Et Dieu le sait parfaitement. Vous n’êtes pas non plus redevables du bonheur. Il n’y a pas de dette à payer pour les joies. Il n’y a pas de sacrifice à faire pour recevoir la grâce. Tous les dons de Dieu à votre endroit sont des dons purement gratuits, parce qu’il vous aime. Vous ne devez rien à Dieu.
Reste la question du « péché », aussi un mot qui peut apparaître à certains d’un autre âge : n’est-ce pas encore présenter un Dieu qui juge et qui condamne, qui pointe du doigt et qui accuse ? N’est-ce pas précisément maintenir cet autoritarisme passé, ce paternalisme tant rigide qu’obsolète de Dieu et de l’Église, qui a fait dans de mal et dont on peut craindre qu’il a vidé nos assemblées ? Peut-on encore dire, au XXIe siècle que « Le Christ, par sa mort, a racheté nos péchés ? » Justement, le cléricalisme passé, ne nous oblige-t-il pas à adoucir la traduction en « Le Christ a donné sa vie pour nous sauver ? »
Personnellement, je déplore que le mot « péché » devienne tabou alors que l’Église est précisément l’endroit pour l’accueil des pécheurs. On a trop longtemps confondu péché et indignité. Ici aussi que les choses soient claires : des saints en puissance, j’espère sincèrement qu’il y en a parmi nous, mais ici-bas nous restons pécheur : la Bible au Livre des Proverbes [24:16] dit que le juste pêche sept fois par jour : personne n’évite les manques d’amours, personne n’évite les petits et les grands égoïsmes.
Nous voilà comme dit l’Évangile « esclaves du péché », qui garde sur nous son emprise quotidienne et pourtant le Christ, par le don sa vie, nous a déjà libérés. Nous devons tenir ce paradoxe : vivre ce n’est pas être libre ; vivre c’est se libérer. Jusqu’au bout nous subirons des entraves ; de chacune d’entre-elles le Christ nous libère. « En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance » dit la Lettre aux Hébreux.
Faut-il donc corriger le mot ‘rançon’ ?
Non dans le sens, justement, qu’il est un mot difficile à admettre et difficile à comprendre. Ainsi, il suscite la réflexion et l’approfondissement. La seule raison qu’il y aurait de corriger la traduction c’est le mauvais usage qu’on a fait par le passé de ce mot – qui dit pourtant beaucoup du Christ – usage malveillant pour manipuler les croyants.
Oui le Christ a payé notre rançon et il l’a payée au prix le plus fort, au prix de sa vie. Il a finalement accepté l’injustice qu’on le tue et il est mort.
Le sacrifice auquel le Christ a consenti nous sauve parce qu’il nous montre que de toute injustice Dieu peut ressusciter l’homme.
Et rien ne pourra ‘rembourser’ cette vie du Christ donnée. Aucune autre vie humaine en tous cas. Mais le Christ ne nous demande pas de le ‘rembourser’ c’est justement ça l’immensité de son sacrifice, c’est que c’est un don total. Essentiellement gratuit.
Vous n’avez pas de dette envers Dieu pas même la vie. Elle vous est totalement donnée, et vous pouvez choisir de vous en emparer totalement. Vous ne devez rien à Dieu : ni le bonheur, ni le malheur. Vous n’avez pas à souffrir pour votre salut ; vous n’avez pas à payer pour la joie. Tout ça est gratuit, donné en abondance et sans exigence de retour.
La seule chose est, si vous voulez hâter en vous la venue du Royaume, si vous voulez précipiter en vous la joie de Dieu, alors il convient – petit à petit - de se détacher de tout ce qui nous relie ici bas. Car au-delà de la mort, finalement, nous n’emporterons rien.
Le radicalisme du détachement précipite la joie. J’en témoigne volontiers.
Mais vous n’avez aucune dette envers Dieu.
Enfin, pour rejoindre la thématique de la mission, qui est celle de ce dimanche, ce n’est pas parce que vous lui devez quelque chose que Dieu vous demande d’aller en mission.
C’est simplement par amour.