Tibère, Pilate, Judée, Hérode, Galilée, Philippe, Iturée, Traconitide, Lysanias, Abilène, Hanne, Caïphe. A côté de ce tableau historique —et de cet exercice de lecture et de diction¬— Luc nous donne à entendre une voix, une personne, qui échappe aux prises de l’histoire, comme pour finalement l’inscrire dans notre histoire. Cette voix s’adresse à nous. Elle nous invite au désert, où rien n’est tracé, fixé, établi. C’est une voix prophétique à défaut d’être royale : celle de Jean-Baptiste. En reprenant les mots d’Isaïe.
Jean le Baptiste n’invite pas à renverser le pouvoir, à changer l’ordre établi, à faire la révolution. Il nous invite à la conversion, c’est à dire à prendre le chemin de notre désert. Le désert dont parle l’évangile, c’est l’inverse du pouvoir. C’est la démaîtrise. C’est un lieu où l’on prend finalement conscience de sa propre dépendance, de sa verticalité. Prendre le chemin du désert, ce n’est pas déserter ou fuir ses responsabilités ! C’est accueillir l’absence. Le désert creuse alors en nous un désir, une soif. En ce sens, il est le lieu de la rencontre avec nous-mêmes. C’est le lieu de la conversion, de la conversation avec nous-mêmes ! Le désert n’est donc pas ce lieu vide où l’on n’entendrait rien, et où on prendrait la fuite. Il est fondamentalement ce silence où une voix —la nôtre peut-être— se donne à entendre. Le désert est comme le vent de l’Esprit. Il est non ce qui parle, mais ce qui nous fait parler et nous aide à donner de la voix. Il est ce lieu par excellence où rien n’est tracé et où cependant, quelque chose vient rayonner en silence… Le désert est donc ce qui permet à notre voix de rayonner, au fond de nous. Il est cet espace qui rend notre cœur disponible ; ce lieu de la rencontre, où ce qui se fait attendre se donne à entendre. Voilà pourquoi notre culture contemporaine a horreur du désert, car ce dernier est un lieu de vérité qui ne permet aucun masque. Le désert —comme le silence— nous confronte à nous-mêmes, à celui ou celle que nous essayons d’être. Il nous met face à nos incohérences émotionnelles. Face à notre pauvreté de langage ; à notre volonté parfois défaillante. Il nous confronte à celui ou celle dont nous ne voulons peut-être pas faire le deuil. Dans les déserts, il n’y a en effet pas de route toute tracée, mais justement un chemin à écrire avec ce que nous sommes, pas avec ce que nous voulons être. Aller au désert, c’est donc déplier la carte de sa vie, se mettre à l’écoute de soi, pour y voir toujours un salut, un relèvement possible. C’est un chemin de vérité avec nous-mêmes qui nous pousse à combler les ravins de la tristesse, à abaisser les montagnes de la suffisance. Le désert est justement ce lieu où on ne peut stagner. Le désert est ce manque qui nous fait aller de l’avant. Oui, pour que la joie croisse, il faut parfois que notre ego diminue… Alors, quel que soit notre âge, malgré la routine, traçons patiemment ces routes dans nos déserts intérieurs. Certains chemins nous ferons prendre de légitimes détours à cause de nos blessures. D’autres nous nos peurs. D’autres chemins seront encore parsemés de tous les écueils de nos hésitations, de nos deuils. D’autres chemins nous sembleront aussi naturels, rassurant, familiers. Voilà ce chemin intérieur et que nous pouvons tracer avec l’aide de l’Esprit, au cœur même de nos existences personnelles parfois tortueuses. C’est donc dans nos déserts, qu’il faut faire résonner cette voix. Alors, une joie profonde se trouvera dans ces lieux essentiels que nous avons désertés… Ce lieu que nous désertons, c’est parfois nous-mêmes. Alors, osons l’intériorité. Osons apprivoiser le silence, habiter nos solitudes, y reconnaître une présence. A nous d’aplanir des routes. A nous de laisser résonner au fond de notre cœur cette voix de l’Esprit, qui nous donne d’accueillir avec confiance ce qui advient. Alors, ce temps de la venue sera pour nous source de joie véritable.