Voici une étape décisive dans l’histoire du salut : Dieu donne son nom. C’est aussi important que quand un jeune homme demande son nom à une jeune fille et qu’elle le lui donne. Ce n’est plus une jeune fille parmi d’autres. C’est quelqu’un d’unique. Ce n’est plus mademoiselle, c’est Béatrice.
Et c’est pour cela que la question de Moïse est presque indiscrète. Mais Moïse ne pose pas cette question par indiscrétion, ni pour lui-même. C’est pour les autres. Les autres vont lui demander quel est ce dieu qui l’a envoyé. Est-ce que c’est le dieu Ra, le dieu du soleil, ou le dieu Baal, le dieu cruel des Phéniciens ? Et Dieu, sans se vexer, lui répond non pas en donnant un nom propre, mais en disant ce qu’il est, en révélant son identité existentielle. Vous imaginez, une identité existentielle ! Le dieu qui donne de l’eau dans les oasis, ça, c’est un dieu utile et compréhensible ; le dieu qui protège du vent chaud du désert, de l’orage qui éclate soudain et noie tout sur son passage, le dieu qui protège de la maladie les bêtes et les personnes, ça, c’est un dieu utile, mais un dieu qui est celui qui est, ça, c’et un peu compliqué.
Il faut partir vers une autre époque, vers le quatrième siècle de notre ère, pour avancer un peu dans ce mystère. C’était au temps d’Hilaire de Poitiers. Hilaire était un riche propriétaire terrien. Il avait fait des études de droit. Il savait diriger des hommes et une province. Mais voilà ! C’était l’époque des grandes migrations. Des familles, des tribus entières, poussées par la famine, avaient traversé le Rhin et erraient, à la recherche de nourriture. L’armée romaine n’arrivait pas à les contenir. L’Empire commençait à craquer de partout. Et Hilaire, depuis sa terrasse, voyait les colonnes de fumée qui s’élevaient dans le lointain. C’étaient des villages qui brûlaient. Lui, le grand serviteur de l’Etat, voyait l’Empire s’écrouler et le chaos s’installer. Rien ne paraissait pouvoir résister à ces forces destructrices. Et voilà que soudain ce païen érudit et instruit découvrait quelque part quelqu’un qui est ce qu’il est, qui n’a pas besoin de l’Empire, ni de son armée, ni de la richesse, ni de grandes propriétés terriennes pour exister. Il est. Il existe tout simplement. Il n’a besoin de rien, ni de personne pour vivre. On peut tout détruire. Lui, il reste.
Et c’est là sans doute le roc inébranlable sur lequel Marie a pu s’appuyer après la mort de son fils, Jésus, sur la croix. Il y a quelqu’un qui est plus grand, plus fort que la destruction et que la mort. Et il est là pour nous libérer de l’esclavage de la peur et de l’angoisse. Il est là dans l’Eucharistie qui se donne tout entier à chacun d’entre nous. Et cette force qu’il nous donne n’est pas là pour nous durcir dans nos certitudes et nos angoisses, mais pour nous permettre de prendre le risque d’aimer et de se tromper, d’être aimé et de recommencer.