Je vous l’ai dit plusieurs fois, c’est comme un leitmotiv au fil de mes homélies. Le judaïsme aime se servir d’images très concrètes pour parler des réalités spirituelles et de Dieu.
Vous vous souvenez du ‘chameau à travers le chas d’une aiguille’, de la ‘poutre dans notre œil’, de la foi ‘grosse comme une graine de moutarde’. Nous sommes le ‘troupeau de Dieu’ et il est le ‘Bon Berger’. C’est évident pour tout le monde que nous ne sommes pas des moutons ou des chèvres …
Partout dans l’Ancien et dans le Nouveau Testaments vous trouverez des images très concrètes de la vie quotidienne pour parler de la vie spirituelle. Même pour dire l’impossible comme ‘demander à une montagne de se jeter dans la mer’. C’est très concret à imaginer pour penser l’impossible, l’idée d’une montagne qui nous obéirait.
Les lectures aujourd’hui nous présentent toutes trois des récits de l’Ascension : après être apparu ressuscité, revenu d’entre les morts, le Seigneur s’élève définitivement vers son Père.
Dans les Actes des Apôtres, Jésus s’élève vers le ciel et une nuée vient l’enlever au regard des Apôtres. Dans la Lettre aux Hébreux, on nous dit qu’il est entré dans le ciel même, qu’il se trouve devant la face de Dieu. Dans l’Évangile de Luc, Jésus se sépare des Apôtres qui se prosternent et il est emporté au ciel.
L’Ascension est sans doute, avec la Résurrection, un des événements les plus incompréhensibles de la vie de Jésus et tout ce qu’en dit l’Écriture ce n’est vraiment pas grand-chose : Jésus s’élève en Dieu et disparaît de la vue des Apôtres.
Personne n’imagine évidement Jésus s’élever physiquement dans les airs, ou décoller comme une fusée. C’est, comme je l’ai dit plus haut, le revers très concret d’une réalité spirituelle. Alors qu’est ce que c’est « s’élever vers Dieu » ? C’est une question très importante parce que ça nous concerne tous.
Allons-nous comprendre « s’élever » comme des parents élèvent leurs enfants ? Allons-nous le comprendre comme quelqu’un qui s’élèverait dans l’échelle sociale ? S’agit-il plutôt d’une élévation intellectuelle, d’une éducation patiente comme la donnent les bons enseignants. S’agit-il de s’élever comme l’esprit s’élève quand il écoute un opéra de Mozart ou quand il s’émerveille devant un tableau de Van Gogh ? Plus encore, s’agit-il de s’élever comme les mystiques ressentent des extases ?
Il y a plein de manière de comprendre le verbe s’élever. Mais toutes celles que je viens de dire, ne sont que des manières humaines. Même si elles prennent mieux en compte l’esprit et plus seulement le corps qui montrait aux cieux.
En fait, je vous ai un peu égarés en vous disant que les textes d’aujourd’hui ne nous donnaient pas beaucoup d’éléments pour comprendre l’Ascension. La Lettre aux Hébreux nous offre une comparaison. Elle compare Jésus au Grand-Prêtre du Temple de Jérusalem.
Une fois par an, le jour le plus saint de l’année – Yom Kippour, le jour du Grand Pardon – le Grand-Prêtre entrait dans le Saint des Saint, la partie la plus sacrée du Temple, là où, selon la tradition juive, Dieu résidait sur Terre.
Il s’était purifié le corps et l’esprit, il avait demandé le pardon de Dieu et offert le sang du bouc émissaire pour racheter tout le péché du peuple. Au lieu d’habits rutilants et couverts d’or et de pierres précieuses, il avait revêtu une simple chemise de lin et il pouvait ainsi entrer enfin dans le lieu de la présence de Dieu sans être détruit par sa puissance.
Mais puisque le peuple se remettait à pécher, c’est un rituel sans fin qu’il fallait reproduire d’année en année.
La lettre aux Hébreux nous dit que l’Ascension du Christ c’est le Grand-Prêtre qui rentre dans le Saint des Saint une fois pour toute. Le texte dit « grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant qu’il a inauguré en franchissant le rideau du Sanctuaire ; or, ce rideau est sa chair. »
Il y a plus qu’une élévation spirituelle vers Dieu dans l’Ascension. Il y même plus qu’une extase sous l’effusion de l’Esprit-Saint. Il y a un « un rideau de la chair » qu’il faut franchir.
Alors quel est ce rideau de la chair ?
C’est s’offrir dans la disparition de soi, pour que d’autres incarnent notre esprit.
A l’Ascension, le corps personnel de Jésus disparaît pour que nos corps personnels puissent recevoir à la Pentecôte pleinement son Esprit.
Paradoxalement, l’Ascension c’est se rendre définitivement invisible pour se rendre totalement accessible ...