L’Evangile d’aujourd’hui ajoute un détail inattendu : le gérant malhonnête se met à battre les serviteurs et les servantes. Pourquoi ajouter ce détail inutile ? Le gérant aurait pu se contenter de boire et de manger, de dormir et de paresser. Mais non ! d’après l’Evangile, il se met à battre les plus petits autour de lui.
C’est sans doute parce que l’auteur de l’Evangile a une grande expérience de la vie humaine. Dès que l’homme a une petite parcelle de pouvoir, il a tendance à en abuser. Il suffit de voir cela à l’armée avec un caporal-chef qui brime et écrase tous les soldats. Il suffit de voir cela avec Hitler et Staline : dès qu’ils ont eu le pouvoir, ils ont tué et éliminé tous ceux qui étaient autour d’eux. C’est plus fort que nous, même pour les meilleurs. Regardez le roi David. A peine est-il installé à Jérusalem qu’il vole la femme d’un autre et qu’il tue le mari trompé. Car, quand l’homme oublie Dieu, il tue son frère. C’est Caïn qui tue Abel. Et c’est normal : s’il n’y a rien, ni personne au-dessus de nous, nous nous croyons être les rois tout-puissants, capables d’imposer notre volonté et nos caprices au monde entier. Il y avait un roi qui fixait de nouvelles lois en donnant comme seule justification que « tel est notre bon plaisir ».
Et à la différence, nous avons célébré cette semaine la fête d’une grande sainte, patronne de l’Europe, sœur Marie-Bénédicte de la Croix, appelée Edith Stein à sa naissance. C’était une grande intellectuelle, la première femme à obtenir son doctorat en Allemagne en 1916, pendant la Première Guerre mondiale. C’était une grand philosophe, qui avait fréquenté Husserl et l’a peut-être influencé. Elle aurait pu marquer l’histoire de la philosophie par son génie. Elle aurait pu marquer l’histoire de l’Allemagne et de l’humanité par son combat pour la promotion du rôle de la femme dans la société. Mais elle est entrée au Carmel. Toute cette recherche philosophique, toute cette soif de liberté ont abouti à la consécration de toute sa vie dans la prière et dans le sacrifice puisque les nazis l’ont arrêtée parce qu’elle était juive et elle est morte à Auschwitz. Ce qui était le plus important pour elle, c’était d’être tout entière vouée à Dieu et à l’Eglise.
Oui, vous me direz, mais tout cela est-il bien raisonnable et surtout réalisable ? Est-ce que ce type de consécration à Dieu, tout en étant admirable, n’est pas un peu stérile et peu fécond pour le monde et la société ? Non ! Regardez le roi David. Est-il resté tout seul auprès du Seigneur pour chanter des psaumes et se reposer ? Non, il fut un grand homme politique, rassemblant les douze tribus d’Israël en une seule grande nation. Regardez Abraham, Isaac et Jacob. Sont-ils restés de pauvres petits nomades, cachés sous la tente ? Non, ils ont suivi les ordres du Seigneur et ils sont partis vers de nouveaux pâturages pour devenir les ancêtres d’une grande nation, celle des croyants.
Mais, comment alors vivre comme ces grands personnages dans notre vie de tous les jours ? Tout d’abord, le matin, en remerciant Dieu de nous donner la vie et son amour. Ce n’est pas grand chose, mais c’est essentiel. C’est ce qu’on apprend aux enfants : dire merci aux parents, aux éducateurs, aux commerçants. Non, ce n’est pas normal de recevoir de la nourriture, de la vie et de l’amour. Cela mérite de dire merci et surtout cela nous rappelle que nous existons grâce à Celui qui donne la vie et la nourriture. A partir de ce moment-là, quand nous sommes bien conscients de tous ces dons que nous recevons, nous sommes alors prêts à offrir aux autres ce que nous avons reçu : la vie, l’amour et le pain de chaque jour.
Alors, en recevant aujourd’hui la sainte Eucharistie, rappelons-nous que nous sommes appelés à être beaucoup plus que de simples enfants gâtés. Nous sommes appelés à partager le trésor de notre vie : l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous.