27ème dimanche du temps ordinaire (année C)

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 6/10/19
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2018-2019

 

[ Textes liturgiques ]


Croyez-vous en l’incroyable ? Croyez-vous que soit possible ce que vous pensez impossible ? Sinon, je vous conseille plutôt de suivre un bon cours de Sciences, que de venir prier un Dieu que vous n’avez jamais vu, ailleurs que dans la foi.

Croyez-vous en l’incroyable ? C’est ça que dit le texte : Si vous avez de la foi comme une graine de moutarde, demandez à un arbre d’aller se jeter dans la mer. Il ira ! C’est justement parce que c’est impossible que Jésus choisit cette image. Ailleurs, dans Marc, dans Matthieu, c’est une montagne que notre foi est invitée à déplacer. [Marc 11:33] « Amen, je vous le dis : quiconque dira à cette montagne : “Enlève-toi de là, et va te jeter dans la mer”, s’il ne doute pas dans son cœur, mais s’il croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé ! » S’il ne doute pas dans son cœur …

Avez-vous la foi ? Croyez-vous dans votre cœur, à l’impossible ?

C’est facile de croire aux possibles. Tout ce qui est à portée de notre connaissance, tout ce qui est à portée de notre main, à notre mesure, les situations que nous pouvons évaluer, y compris dans notre cœur, il n’y a pas besoin de beaucoup de foi pour les espérer. « Dieu, fais que je réussisse mon année » ; « Dieu, donne-moi de rencontrer l’amour » ; « Dieu, rends-moi plus attentif à mon prochain ».

C’est déjà moins facile de croire en ce dont nous désespérons : « Guéris-moi de mon cancer, … de ma dépression, … de mon vice ».

C’est encore plus dur de croire à l’incompréhensible … « Pourquoi y a-t-il tant de maux si Dieu nous aime ? » « Pourquoi de jeunes enfants, de jeunes parents meurent-ils ? »

Mais croyez-vous en l’impossible ? Croyez-vous en un amour sans haine, sans dispute, sans aucune trace de méchanceté ? Croyez-vous qu’il puisse exister entre vous et celles et ceux qui vous entourent un amour parfait ? Croyez-vous que toutes les souffrances ont un sens, qu’elles sont toutes des lieux d’amour ? Croyez-vous en un amour parfait ?

Croyez-vous que cette puissance infinie d’aimer, qui veut tout rejoindre – le bien comme le mal – croyez-vous que cette puissance infinie d’aimer existe vraiment, qu’elle vous parle, qu’elle veut vivre à travers-vous, jusqu’à prendre toute la place - croyez-vous que la puissance infinie d’aimer de Dieu puisse vivre en vous ?

Croyez-vous que vous vivrez éternellement ? Croyez-vous avoir une valeur infinie aux yeux de Dieu ? Croyez-vous être fondamentalement aimés ?

Croyez-vous aux guérisons inexpliquées, par amour ? Croyez-vous que pour vous aussi, Dieu fait des miracles ? Croyez-vous que Dieu s’intéresse à vous, personnellement, et qu’il exauce vos prières ?

Aimez-vous vos ennemis ? Dites-vous du bien de ceux qui vous persécutent ? Pensez-vous pouvoir pardonner à ceux qui vous tuent ?

Croyez-vous en l’impossible ?

Si notre foi ne couvre rien d’impossible ; si elle se cantonne au domaine du raisonnable, elle n’est pas essentiellement la foi. Il n’est pas raisonnable d’espérer un amour sans dispute. Il n’est pas raisonnable d’espérer guérir de tous nos maux. Il n’est pas raisonnable de croire que les corps ressuscitent. Il n’est pas raisonnable de croire en Dieu.

Qu’une personne puisse incarner sur cette Terre l’amour parfait, qui va croire ça ? A notre mesure, c’est proprement déraisonnable de penser l'existence d'un amour humain sans tache, sans mépris, sans violence. C’est pourtant ce que nous espérons, la venue du Christ auquel nous croyons.

Si vous êtes un rationaliste pur, il n’est pas possible de croire en l’impossible. C’est même purement illogique. Le rationaliste pur, pour qui la religion n’est qu’image au mieux, imaginaire au pire, le rationaliste pur ne peut croire en Dieu, qui est proprement au-delà de toute mesure, au-delà de toute imagination, et donc de notre compréhension. Le rationalisme pur, qui ne voit la religion que comme une projection de l’esprit et pas la présence réelle de Dieu en nous, ne peut rien envisager d’invisible, de surnaturel, d’au-delà de tout, de proprement inimaginable.

Il y avait plus que croire en l’impossible, dans les lectures d’aujourd’hui. Il y avait aussi croire en un Dieu qui ne répond pas. « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? » supplie le prophète Habacuc. Jésus répond par une parabole.

Classiquement, le maître c’est Dieu ; le serviteur c’est nous. Quel serviteur donc s’attend à ce que son maître lui serve à manger dès qu’il rentre des champs ? Autrement dit, voyons-nous la prière comme une mise de Dieu à notre service ? Dieu finalement, sert-il, à contenter nos espérances ? à répondre à nos demandes ? à satisfaire nos exigences ?

En préparant cette homélie, une étudiante a dit « La foi est testée dans les grandes épreuves » ; j’ajoute : « et elle est attestée dans les grands miracles ». Il y a un ‘range’, un écart, des bornes entre lesquelles la foi est assez facile – quand tout va bien et que la vie nous sourit – et il y a un au-delà de ces bornes où la foi est plus difficile, et pour certains impossible – quand Dieu ne répond pas, ou semble absent, ou nous abandonner, ou ceux pour qui il est impossible que Dieu réponde, ou réponde ce qui arrive.

Face aux événements tragiques de la vie, comment parfois ne pas désespérer de Dieu ? C’est la notion de test évoquée plus haut. Mais je crois qu’il est présomptueux, même si on ressent une foi capable de transporter les montagnes, de la croire à toute épreuve.

Gardons à l’esprit ces deux bornes, que rationnellement nous avons tous, celle de l’impossible que je n’ose espérer et qui pourtant agit en moi et celle du tragique de la vie humaine qui entame ma confiance en l’incarnation de Dieu qui pourtant encore, au-delà de mon désespoir, me soutient.

Au delà des limites de notre foi, c’est la peur. D’un coté, la peur du néant amoureux, du vide, du désespoir … de l’autre, la peur de se donner à un amour trop intense, trop inespéré, trop inouï. « Ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération » dit s.Paul à Timothée.

Le croyant c’est celui qui n’a pas peur de croire que l’incroyable arrive, que l’amour impossible est possible et que même la mort n’arrête pas la vie.

N’ayez pas peur d’aimer au-delà des limites du raisonnable. Et Dieu et l’Humanité et la Vie.