Nous célébrons aujourd’hui la fête du Christ Roi de l’Univers. C’est l’occasion de nous poser la question : qui gouverne ? Qui gouverne notre cœur, notre vie ?
Le Roi est celui qui incarne le gouvernement. C’est là sa définition. Gouverner c’est avant tout prendre des décisions, donner une direction à une action et finalement un sens à l’existence, au moins l’inscrire dans une certaine perspective. Et convenons d’appeler roi ou reine celle ou celui qui tient la barre, qui décide, qui gouverne. Celle ou celui qui finalement dit : « c’est par là qu’on va ».
Évacuons d’emblée le cas maladif de celui qui se prend pour le roi, qui considère le gouvernement essentiellement sous l’angle de la reconnaissance et des égards qu’il reçoit parfois – « celles et ceux qui aiment les premiers rangs dans les Synagogues » dira l’Écriture – qui demandent avant tout à être reconnus, à être servis, à être obéis ; qui veulent le pouvoir non pour ce qu’il permet mais pour ce qu’il représente. Se prendre pour le roi dénote une stratégie immature pour compenser la médiocrité que l’on se connaît. C’est du camouflage. Passons ; ce n’est pas de cela dont nous parlons ici.
Qui gouverne ma vie ? Quelles sont la ou les personnes qui m’incitent à telle ou telle direction ? Qui dirige le sens que prend mon existence ? Qui lui donne son sens ultime ?
Beaucoup diront peut-être : finalement, le roi c’est moi. Je suis le maître de mon existence. Je me sens fondamentalement libre ; je fais ce que je veux ; je suis le roi. C’est moi qui gouverne ma vie.
Si vous me permettez ici une confidence : je me suis toujours senti essentiellement libre pour la plupart des choix essentiels, des directions que j’ai pu donner à ma vie. Notamment en ce qui concerne le sacerdoce ou la vie religieuse : à chaque engagement, d’opportunes alternatives se sont présentées à moi que j’ai décodées comme autant de signes que Dieu me laissait fondamentalement libre de prendre une autre voie. Et avant cela, pendant des années, je me suis senti libre d’errer comme le Fils Prodigue. Et même adolescent et enfant : j’ai joui d’une grande – peut-être d’une trop grande – liberté. Mais il y a aussi des gens qui m’ont imposé leurs choix ...
C’est un peu simple – je trouve – de s’affirmer le roi, de se penser pleinement en charge de sa destinée, d’espérer avoir totalement le gouvernail de sa vie en main. Il y a des choix libres pour tous, c’est certain – et Dieu nous veut libres. Mais il y a des choix contingentés, des choix orientés – par d’autres ou par les événements – et il y a aussi des directions qui nous sont imposées. Et parfois contre notre gré.
Qui gouverne ?
Le monde, l’État, la société, notre entourage exercent sur nous une influence, parfois avec poids. Beaucoup de décisions que nous prenons le sont en fonction de notre environnement et même de la pensée d’autrui.
Qu’est-ce qui oriente mon affectivité ? moi ? Qui détermine la direction que prend mon cœur ? D’où me viennent tel ou tel attrait ? de ma propre décision ? D’où viennent mes centres d’intérêts ? mes préoccupations ? de ma seule liberté où la vie qui a été la mienne, les personnes qui ont eu sur moi une influence les ont-elles contingentées, orientées ?
Qui gouverne ma vie ?
Suis-je parfaitement libre de prendre les décisions me concernant ? Jusqu’où les opportunités qui se présentent à moi sont-elles déterminées ? On ne choisit pas « les trottoirs de Paris, de Manille ou d’Alger pour apprendre à marcher » dit la chanson. Les possibilités qui me sont offertes dépendent en grande partie des circonstances : « on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille ». Et choisit-on vraiment ses amis ? Pas si on les laisse eux-mêmes libres de radicalement changer.
Qui gouverne mes choix ?
Si les marques font de la publicité c’est que ça marche. C’est prouvé d’ailleurs. Les discours que nous recevons ont pour but de nous convaincre ; pas toujours en dialogue. Beaucoup d’idées, de concepts, de stéréotypes nous sont imposés. Par la culture ambiante, par les médias, aussi par nos proches. La fabrication du consentement – en fait son orientation – est devenue une science dont se servent désormais les politiciens, les économistes, les stratèges.
Qui gouverne ce à quoi je pense ?
Les idées sur lesquelles votre cerveau sautille actuellement : ce sont les miennes. Ce sont
mes mots auxquels votre cerveau attache son attention. Le fil de pensée qui est le vôtre pour l’instant qui le dirige ? Vous ? Moi ? Les deux ?
Où se trouve mon autonomie de gouvernement ?
Et même lorsque je me prends personnellement en charge, il m’arrive de m’aveugler, de me tromper, de me mentir même parfois. Qui gouverne alors ? mon inconscient ?
Je suis libre et la liberté que je prends est celle de vouloir le bien. Comme nous tous ici je l’espère, je me donne la direction du bien – de manière presqu’abstraite et ainsi plus librement.
Le bien que je désire : c’est l’amour. Et je le désire tellement que je l’érige en puissance de gouvernement pour ma vie. C’est l’amour – ici aussi dans ce qu’il a d’absolu, et libre – qui oriente et dirige ma vie.
Il se trouve que l’amour est toujours une personne.
Dans le mesure où le Christ, incarne pour nous, l’amour personnel de Dieu qui vient à notre rencontre, alors oui je souhaite qu’il soit pour moi le roi, cette personne qui gouverne ma vie avec une puissance qui me dépasse. Avant tout autre – la société, l’époque ou celles et ceux qui m’entourent – c’est lui, l’amour parfaitement incarné de Dieu, que je souhaite voire orienter tout mon univers.
Le reste ne serait que me prendre moi-même pour le roi ….