J’ai une tendresse pour Jean le Baptiste, qui apparaît un peu comme le loser du Christianisme. Nous reviendrons la semaine prochaine sur la personnalité de Jean puisque nous lirons à nouveau, dans un autre Évangile, le récit du Baptême du Seigneur.
D’abord Jean a une intuition en opposition avec son temps et son milieu. Il quitte tout pour aller prêcher au désert, plus exactement sur les rives du Jourdain qui marquent la frontière entre désert et Terre d’Israël. « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur » [Jn 1, 23]. Pour lui, il faut conquérir à nouveau la Terre promise. C’est dire que, dans son esprit, Israël n’est plus rien ; le Temple n’est plus rien ; le peuple de Dieu lui-même est dépouillé, nu, sans terre, revenu à l’errance. Et Jean l’assume pour lui, se vêt en conséquence, quitte Jérusalem pour les terres arides et prône une nouvelle entrée en Terre sainte. En se positionnant comme les Hébreux avant l’entrée en Terre promise, Jean pose un acte de défi radical à l’establishment dont il est issu et à l’esprit de son temps.
C’est radical est c’est sans doute ce qui me plaît. Jean quitte tout, confort, famille, nourriture et vêtements pour assumer le dépouillement de son peuple et la désolation de son époque.
Puis arrive Jésus de Galilée, qui le dépasse et rafle la mise : bel idéal, entrée en terre promise, disciples, tout ce que Jean a mis en œuvre, Jésus semble s’en emparer … presque l’en dépouiller. « L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi » dira Jean ; « Moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. » On l’a l’impression d’une course de fond où Jean se fait coiffer sur le poteau par le Christ.
Même sa mort, que l’Évangile situe également lors d’un repas, n’est pas accomplie comme celle du Christ. Vous vous souvenez de l’épisode de la tête de Jean offerte à Salomé sur un plateau pour une danse lascive. Hérode triomphe à la mort de Jean, alors que c’est le Christ qui triomphe à sa propre mort, à tel point que – nous venons de le lire – des soldats romains témoignent de sa divinité.
J’ai une tendresse pour Jean le Baptiste parce qu’il apparaît comme un loser, un bel idéaliste qui a perdu son combat. Il est intransigeant et c’est ce qui lui coûte la tête.
C’est Jean qui invente le baptême mais c’est Jésus qui s’y voit couronné par Dieu. En effet, une voix venue du ciel dit « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie. »
Alors Jean le Baptiste n’est-il qu’un admirable loser ? Oui et non.
Oui, c’est le Christ qui accomplit sa mission, Jean – et le texte le dit – s’efface et c’est Jésus qui triomphe. Remarquons que lui-même, Jésus, triomphe à la manière d’un loser. Car s’il apparaît muni de la plénitude de l’Esprit à son baptême ; il meurt à bout de souffle – en rendant l’Esprit – moqué jusqu’au pied de la Croix.
Excusez-moi si ce que je dis vous choque, mais nous sommes une religion de losers – de pauvres types et de pauvres filles qui supplions Dieu de venir rejoindre nos combats, qui sommes rejoints et même touchés par lui et qui cependant retombons toujours dans les mêmes maux. Toujours nous tombons et toujours le Christ nous relève ; nous ressuscite de sa Résurrection ; nous donne sa vie et encore nous tombons.
Le confiteor que nous venons de dire, le kyrie que nous venons de chanter ne disent pas autre chose : « Je suis un pauvre type, j’ai encore fait des bêtises, ce qui est mal à tes yeux. Seigneur prends pitié. »
C’est admirable – je trouve – de penser que nous sommes la religion – et peut-être le seul groupe social – qui commence ses assemblées par confesser collectivement sa médiocrité. Nous sommes une assemblée de pauvres types et de pauvres filles ; c’est ça que nous disons en commençant. C’est à la fois courageux et honnête.
Jean le Baptiste est humain, nous sommes humains et le Christ est humain. Et ultimement l’humanité s’efface devant la divinité. En cela, tous, nous apparaissons comme des losers. Et tous nous mourrons.
Mais finalement, et dès le baptême de Jean, nous triomphons.
Si dans la crèche Dieu rejoint notre humanité ; au baptême de Jean – je l’ai dit – Dieu rejoint nos combats. En se laissant baptiser par lui, Jésus endosse la révolte de Jean le Baptiste contre la corruption des élites et l’hypocrisie du Temple. Jean est un révolté contre son époque et le Christ vient le rejoindre au bord du Jourdain. Il vient habiter la radicalité de sa contestation avec la plénitude de l’Esprit Saint. « Car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. » dit-il dans le texte.
Tous nous menons des combats. Sans doute chacun avec une radicalité différente mais je crois que tous, il nous arrive d’être révoltés par la corruption et l’hypocrisie, par l’injustice. Celle de notre époque, et peut-être aussi la nôtre. Tous nous menons des combats, contre le mal en nous et contre le mal dans le monde. Et le mal nous révolte.
Mais tous nous sommes baptisés dans le Christ. A notre baptême, il est venu rejoindre nos combats. Jusqu’à vouloir les endosser, les habiter, pleinement. « Laisse faire » dit Jésus alors qu’il prend la place.
C’est effet si nous laissons le Christ habiter pleinement les combats que nous menons – et à cette seule condition – que nous accomplirons toute justice. Et ainsi, avec Dieu, de tout combat nous sortirons vainqueurs. La condition pour être un loser triomphant, c’est de laisser l’Esprit de Dieu mener pour nous nos combat à leur accomplissement.
Alors, à travers notre action, à travers les combats que nous menons, nous entendrons Dieu nous dire « Voici mon fils, ma fille bien-aimés en qui je trouve ma joie. »