Baptême du Seigneur (année A)

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 12/01/20
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A
Année: 2019-2020

Textes : Lectures de la fête du baptême du Seigneur (année A)

« Alors, Jean le laissa faire. ». Avouez qu’il y a quelque chose d’étonnant dans la scène que nous venons d’entendre. Au-delà de la surprise et de la réaction de Jean Baptiste, c’est l’action de celui-ci lors du baptême. Jésus vient auprès de Jean pour être baptisé par lui… et il nous est simplement dit que « Jean le laisse faire ».  Il n’y a pas d’autre expression pour décrire l’action —ou plutôt l’inaction— de Jean le Baptiste lors du baptême de Jésus. Il n’est pas dit que Jean verse de l’eau sur la tête de Jésus comme l’iconographie aime nous le montrer. Il nous est seulement raconté que « Jean le laisse faire ».  Dans cette scène, Jean le Baptiste laisse être Jésus, pleinement. Il le laisse libre. Libre d’être vraiment ce qu’il a à devenir.

Vous le savez, bien souvent, c’est au nom d’une soi-disant liberté que des parents décident de ne pas baptiser leur enfant. On veut laisser faire… Bien des couples que je rencontre me disent qu’ils ne souhaitent pas baptiser leurs enfants, pour que ceux-ci puissent décider par eux-mêmes…
On comprend un peu l’argument… mais on voit surtout les limites de celui-ci ! Car le baptême, c’est en réalité très exactement le don de la liberté et d’une joie profonde, qui nous viennent justement d’un autre…  Le baptême n’est pas en dépit de la liberté. C’est justement sa consécration ! Le baptême, c’est découvrir son identité singulière, ce à quoi Dieu nous appelle à être, des êtres libres !

Ce que l’évangile nous rappelle aujourd’hui, c’est justement que c’est lorsqu’on lâche prise, qu’on laisse faire, qu’on laisse quelqu’un être pleinement qu’il y est —même s’il traverse l’en-bas de sa vie—  qu’il peut alors entendre une voix divine lui dire « en toi je trouve ma joie ».  Pour le Christ, il a fallu un instant —je dis bien un instant— pour qu’il entende pour lui-même l’annonce de cette joie, pour que toute sa vie en soit transformée.

En ce sens, le baptême est justement ce moment de liberté, et de vérité, où nous pouvons entendre ce que nous sommes vraiment.
Un instant où les cieux se déchirent !! Et où nous entendons en nous cette voix qui nous dit —que nous nous sentions nul, inutile, faible, ou limité — « en toi, je trouve ma joie ». 

Il faut parfois un instant, un moment pour découvrir un horizon nouveau. Certes, il y a le baptême que nous avons reçu. Mais il y aussi et surtout ces baptêmes que nous avons à vivre chaque jour. Ces moments où notre ciel se déchire, ou un horizon se crée. Ces moments où nous laissons-faire l’Esprit !
N’y a-t-il pas, chaque jour, de tels baptême à vivre ?  Pour « laisser laisser faire l’Esprit de Dieu faire son oeuvre en nous », pour nous ressourcer, nous faire remonter de l’en-bas et nous régénérer ? Le souci est que nous sommes dans une dictature de la fausse joie et du bonheur ! C’est une culture générant cette forme d’exigence personnelle à être heureux à tout moment et en toutes circonstances. Comme si les cieux devaient tout le temps se déchirer !! Une injonction à l’euphorie perpétuelle, en somme, que l’on s’impose à soi et que l’on poursuit souvent pour les autres et nos enfants… Comme s’il fallait tout faire pour l’autre… sa joie, et son bonheur !

J’aime cette expression du psychopédagogue Bruno Humbeeck qui a un joli jeu de mot —très lacanien— pour parler du lien entre tout faire et étouffer ! Certains parents, ou conjoints, disent ceci : « Pour ton bonheur,  j’ai tout fait, j’ai tout fait, j’ai tout fait, j’étouffais, j’étouffais ».  Tout faire —c’est-à-dire ne pas laisser faire—, c’est parfois étouffer…  Lorsqu’on veut tout faire, on étouffe, soi-même et l’autre en même temps ! A l’inverse, laisser faire, c’est laisser aussi une respiration se faire… C’est laisser place à l’Esprit ! Vous l’aurez compris, il y a des moments précis de nos vies, il en faut parfois un seul, où nous sommes comme transfigurés, où nous entendons quelqu’un nous dire « je te fais confiance ». « Je t’aime ». « Je te trouve en toi ma joie ». Alors, un horizon s’ouvre, l’Esprit souffle en nous !

Pour que cela puisse se réaliser… il faut donner de l’espace,  aimer sans s’agripper. Il faut laisser faire… Et cela se décline de bien des manières. Laisser faire, ce n’est pas démissionner ou laisser toute la place aux émotions, aux forces qui nous tirent vers le bas. Laisser faire, c’est parfois accepter qu’il y ait des moments de tristesse,
de tentation, d’erreur, de colère, de peur…
Mais c’est aussi 

découvrir les moments fugaces de vraie joie, qui justifient d’exister ;
Laisser faire, c’est permettre que les cieux se déchirent,
pour que résonnent, en l’autre, des mots qui donnent confiance.
Laisser faire, c’est enfin, je crois, laisser parfois ses propres larmes monter, ces larmes qui sont toujours les eaux d’un nouveau baptême. Car le baptême nous rappelle toujours que c’est lorsqu’on est au fond, au fond sans fond, que le ciel peut enfin se déchirer, et une vraie joie nous envahir. Amen.