1er dimanche de Carême (année A)

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 1/03/20
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2019-2020

Textes : 1er dimanche de Carême (année A)

 

Aujourd’hui le mot péché est presque devenu un gros mot dans l’Église. A notre époque individualiste, il est devenu presqu’indécent de mettre en cause le péché personnel. Les turpitudes de l’âme sont devenues un problème privé, surtout à mesure qu’elles sont intimes. Pour beaucoup de chrétiens d’ailleurs, la confession des péchés n’est même plus envisagée : « mes difficultés, mes failles ne regardent que moi ». C’est un peu vite oublier cependant que la confession est une prémisse nécessaire à la réconciliation. Avec Dieu, mais aussi avec soi.

Certains pensent s’arranger seuls avec Dieu.

Certains globalement : Dieu, pour eux, pardonne tous les péchés. Ce qui n’est qu’un moyen grossier de disqualifier tout jugement à propos d’ eux-mêmes, aussi de la part de Dieu. En effet, plus besoin de rien confesser si Dieu pardonne automatiquement tout. Voilà comment on organise l’obscurantisme à propos de soi, au risque de s’enfermer dans des tabous. A quoi bon faire un examen de conscience si Dieu pardonne systématiquement tout ?

Certains pensent s’arranger seuls avec Dieu, au cas par cas. La pensée qui gouverne ici c’est finalement « mon péché, ça ne regarde que Dieu et moi ». Outre que c’est faux – mon péché implique toujours autrui dans la religion chrétienne – l’aveuglement viendra ici de ce que je ne saurai jamais qui finalement me donne l’absolution. Si c’est véritablement Dieu ou si c’est moi qui me prend pour Dieu. Comment progresser si je m’absous moi-même ? Nous connaissons tous notre tendance à facilement nous arranger avec nos petits défauts et parfois même nos vices profonds ...

Les lectures d’aujourd’hui ont pour but de nous décoincer un peu à propos du péché. De notre péché. Alors allons-y gaiment.

Je laisse d’emblée tomber toutes sortes de stéréotypes sur le récit du péché originel. En particulier, tout le coté misogyne qu’on a pu lui accoler : Eve serait, pour certains, la première fautive. Pour Paul en tous cas – nous venons de le lire – il n’y a pas de doute, c’est par Adam – « la faute d’un seul » dit la Lettre aux Romains – que le péché est entré dans le monde.

Premier point important des lectures d’aujourd’hui : Je ne suis pas le responsable de tout. Ce n’est fondamentalement pas moi qui ai commencé. Contrairement à Adam, je ne suis pas né dans un monde idéal, un paradis sur Terre préservé de tous les maux. Tous, au plus loin que nous regardions vers l’enfance, nous le savons très bien, nous sommes d’abord venus au monde avec le désir d’aimer. Spontanément aimer. Ce n’est qu’en retour que les péchés du monde ont refroidi cet élan d’amour naturel que nous avions. Tout n’est pas notre faute. Beaucoup de nos maux sont des blessures. Je trouve cette idée rassurante.

Second point important, qui là aussi devrait nous décoincer : être tenté, ce n’est pas pécher, puisque Jésus l’a été. Être attiré par quelqu’un ce n’est pas pécher. Souhaiter avoir du pouvoir sur les choses ou sur les événements ce n’est pas péché. Le désir, l’envie, et même envisager le pécher ce n’est pas encore pécher. Jésus, aussi, a été tenté. C’est même Dieu qui l’envoie au désert pour y être tenté.

Le péché vient non pas du fait d’envisager le péché, mais de la manière de l’envisager. Je le redis, on ne pêche pas en trouvant telle personne, telle chose ou telle idée attrayante. On ne pèche pas d’avoir des désirs, on pèche de la raison pour laquelle on y cède.

C’est bien d’être attiré par les gens sauf si c’est pour les soumettre à soi, à ses phantasmes. C’est bien d’être attiré par les choses, de vouloir produire et construire des biens, sauf si c’est pour surconsommer et compenser. C’est bien de désirer avoir de l’influence et du pouvoir sur le cours des événements, sauf si c’est pour se faire valoir ou dominer les autres.

Toutes les désirs peuvent être égoïstes ou altruistes. Mais la tentation, même d’un désir égoïste, n’est pas péché. Je le redis, le péché vient de la manière dont on envisage ce désir. Pas du simple fait de l’envisager.

C’est même sain d’envisager ses tentations. Elles nous éclairent sur qui nous sommes. Suis-je attiré par telle ou telle personne : ça parle de moi, de mes désirs intimes et de mes manques affectifs. La manière dont je suis attiré par telle ou telle personne parle encore de moi. De même que parlent de moi, de mes blessures, les personnes que je rejette, que j’ai du mal à aimer. La manière dont je me relie aux choses, aux objets, à l’argent parle aussi de moi. Envisager les tentations qui nous assaillent, c’est aussi apprendre qui on est.

L’idée n’est donc pas de refouler nos désirs, fussent-ils parfois le reflet de mauvais penchants – vous pouvez essayer, vous n’y arriverez pas. En fait, je vous déconseille d’essayer, vous ne feriez qu’aggraver en vous les tensions. L’idée n’est donc pas de refouler mais de comprendre nos désirs, y compris nos désirs désordonnés ou mauvais. Et pour le chrétien, les comprendre dans la perspective de Dieu.

A mesure qu’ils sont intimes, nos désirs parlent de nous. Et c’est par une saine réflexion sur ces désirs profonds que nous nous connaîtrons le mieux. Que dit de moi telle tentation ? Que dit de moi tel penchant ? telle tendance qui persiste ? Et comment, Dieu, peut-il venir les rejoindre ?

Je le disais en commençant : la confession des péchés est une prémisse nécessaire à la réconciliation. Avec Dieu, mais aussi avec soi.

Reconnaître, justement dans les tentations qui sont les nôtres, notre péché et ainsi mieux comprendre qui nous sommes et y faire face, voilà le début de la réconciliation avec nous-même.

Laisser Dieu transcender par amour notre honte, c’est se réconcilier avec lui et revenir à la vie.

Nous sommes aimés de Dieu, et avec lui nous n’avons pas à avoir honte de nos tentations ; nous avons à y faire face.