1er dimanche de Carême (année A)

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 1/03/20
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2019-2020

Textes : 6ème dimanche ordinaire (année A)

Le carême est souvent présenté comme un simple temps de recentrement, de ressourcement, de retour à l’essentiel…  Un peu comme s’il s’agissait d’une période de régime, d’amaigrissement de l’ego. Une petite cure de detox en somme —et un temps de quarantaine— pour éviter les tentations et renaître à Pâques ! Ce n’est pas totalement faux bien entendu, mais c’est toujours un peu moralisant. Il y a certes le temps du carême, mais il pointe surtout vers les lieux où jeûner trouve réellement sa pertinence ! Il s’agit de visiter ces lieux où il nous faut vaincre notre envie de maîtrise, ces lieux, ces relations sur lesquelles il nous faut poser un regard différent, neuf !

Je ne sais pas si vous avez fait attention aux différents lieux où se situent les tentations que nous avons entendues. Ils ne sont pas choisis au hasard. Dans l’évangile, les tentations de Jésus sont éprouvées respectivement dans le désert, mais aussi dans la Ville sainte, et sur la montagne. Dans la symbolique biblique, ce sont justement des lieux de rencontre avec Dieu, autant de lieux où le sacré se révèle…

Dans l’évangile de Matthieu, les tentations ne sont donc pas situées dans des lieux neutres, loin du sacré, a priori éloignés de Dieu. L’évangéliste place justement le tentateur là où l’homme biblique a l’habitude de chercher Dieu : au désert, dans la ville sainte, dans le temple : là où peut-être nous nous croyons parfois plus proches de lui…

Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut jeûner d’église, ne plus fréquenter les lieux de cultes et se mettre en quarantaine comme si un mystérieux virus régnait dans les endroits sacrés. Non, mais c’est bien là toute l’ambiguïté de la tentation, et l’œuvre du diviseur et du serpent. La tentation et la convoitise se développent justement dans les lieux que nous idéalisons, les personnes que nous admirons, dans nos lieux de sécurités, de confort, de sacré,…

N’est-ce pas bien souvent lorsqu’on croit qu’une relation est solide et indestructible, qu’elle nous échappe et qu’on éprouve de la solitude ? N’est-ce pas souvent lorsqu’on a des certitudes —sur soi ou sur Dieu— que nos proches sont là pour nous rappeler qu’elles sont illusoires et que nous sommes ainsi ramenés à notre finitude ?

Et c’est peut-être là toute la complexité des lectures de ce jour. Elles nous invitent à lutter —utilisons le mot— contre toute tentative de maîtrise, de sécurité, de preuve, de toute-puissance…  Elles nous invitent à visiter les lieux de nos idéaux, les lieux de pouvoir afin d’y faire place au manque. C’est ce combat que Jésus, au désert, dans la ville sainte et sur la montagne, a remporté. Il n’a pas voulu entrer dans la maîtrise, mais bien dans la maitrise de sa maîtrise. Et tel peut-être l’enjeu de notre carême. Il s’agit —dans tous les lieux où nous espérons être épanouis, où nous voulons réussir ou être comblés— de jeuner du désir d’être rassasié ! Permettez-moi l’expression paradoxale… Il s’agit de jeûner du désir d’être pleinement rassasié.

Avec cette clé, je vous invite à revisiter tous vos lieux de vie… Au boulot ? Il s’agit de jeûner du désir d’être pleinement satisfait ! En couple ? Il s’agît de jeûner du désir d’être pleinement heureux ! Avec Dieu ? Il s’agit de jeûner du désir d’être pleinement comblé ! Désire ce que tu as, et tu auras alors tout ce que tu désires nous rappelle la sagesse ! Il nous adresse donc cette question toute simple. En quoi, en qui, où places-tu ton désir le plus profond ? Qu’est-ce qui te nourrit  ? Ce pour quoi tu serais prêt finalement à « sacrifier » ta vie et à la rendre finalement sacrée ? N’y a-t-il pas un jeûne salutaire à faire ? N’est-ce pas dans un de ces lieux qu’il faut jeûner de notre désir d’être comblé ?  Et qu’il faut laisser de la place à Dieu ? Chez certains, ce sera le jardin d’éden, d’une relation idéalisée ou d’une famille rêvée ; chez d’autres, ce sera la ville sainte d’une religion, d’une église dont il faudrait faire le deuil ; chez d’autres encore, ce sera la montagne d’un projet aussi idéalisé qu’irréaliste.

Oui, il nous faut jeûner du désir —tellement humain— d’être comblé. L’humain ne grandit que lorsque son désir de puissance est vaincu, que lorsqu’il met des limites à l’illimité de son désir. Bien entendu, « il ne s’agit pas de refuser le désir, mais le désir de tout désirer. Il ne s’agit pas de refuser d’être excellent — ou d’être à la pointe dans une discipline, par exemple— mais de refuser d’être dans la toute-puissance.» Il s’agit peut-être, simplement, d’inviter Dieu à notre table. Paul Bauchamp a une belle expression pour résumer la première lecture : « l’être humain peut manger de tout… il ne peut manger le tout » !

Alors, je vous invite à revisiter tous vos lieux —à commencer par votre cœur— qui aspirent où il faut passer par un temps de jeûne.
Le jeûne amène toujours un petit creux, comme un tombeau vide invitant à une renaissance. Vécu comme cela, ce carême nous nourrira réellement, nous donnera faim, nous restaurera.