Je vous propose de réfléchir à partir du passage de la 1ère lettre aux Thessaloniciens que nous avons entendu. Cette lettre de saint Paul est le tout premier écrit chrétien qui nous soit parvenu. Elle date très probablement de 51, c’est-à-dire vingt ans après la mort de Jésus et l’expérience de sa résurrection.
Ce texte nous étonne et nous le comprenons sans doute difficilement. C’est la raison pour laquelle je veux m’y arrêter. Ce passage comporte deux parties : tout d’abord l’affirmation de la foi et l’espérance en la résurrection pour le morts. Paul nous rejoint par-là, puisque nous venons de fêter la Toussaint et le jour des morts. Par contre la suite du texte a de quoi nous dérouter. Paul y dit clairement que le Christ va venir mettre fin à notre histoire et effectuer le jugement de Dieu très prochainement. Il affirme que lui-même et les croyants de la communauté, qui sont actuellement des vivants, seront les témoins de ce retour du Christ et du passage à la résurrection pour tous.
Beaucoup, à l’époque de Jésus, croyaient que la fin des temps était proche, que le Fils de l’homme allait bientôt venir en gloire pour juger le monde. Il apparaît assez clairement que Jésus partageait cette perspective. Cela se dit explicitement dans les trois premiers évangiles. Ainsi chez Marc : « Le Fils de l’homme est proche, il est à vos portes. [...] Cette génération ne passera pas que cela n’arrive. [...] Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père » (13, 29-32). Pour Jésus, donc, ses contemporains, ‒ cette génération, dit-il, ‒ seront encore vivants quand les événements de la fin de l’histoire surviendront. Mais il ajoute qu’on ne peut pas spéculer sur le moment. C’est ensuite la vision commune de la première communauté. Paul, quelques années plus tard en témoigne.
Les communautés chrétiennes et Paul se rendront compte en quelques années que le Christ ne revient pas aussi vite que cela, et que l’histoire continue : cette perspective assez catastrophiste concernant l’histoire et le monde présent n’apparaît plus dans l’ensemble de ses autres lettres.
Le texte de la lettre de Paul est là, et nous le lisons aujourd’hui. Vous vous dites peut-être : quel intérêt ? Clairement, nous ne pouvons plus lire littéralement un tel texte ni celui des évangiles qui va dans le même sens. De façon plus générale, la lecture de ce texte nous met en garde contre une lecture littérale des textes de la Bible, y compris ceux des évangiles, sans tenir compte du contexte historique. Paul s’est d’abord trompé sur la signification du temps pour le croyant, sur le déroulement de l’histoire. Mais avant lui, Jésus s’est trompé de la même manière et ses disciples avec lui. Cela voudrait-il dire alors que le texte que nous avons lu n’a plus aucune signification pour nous ? Non, parce que le message de Paul se dit clairement dans le début de ce passage. Des gens sont morts dans la communauté, certains se sentent abattus, comme si Dieu ne réalisait pas ses promesses. Paul témoigne : Jésus est ressuscité, et Dieu dans la mort nous emmènera avec son Fils Jésus. En attendant ce moment qui reste inconnu pour nous, le message de Paul est clair : il poursuit, en effet, en disant que nous n’avons pas à nous soucier du moment où cela arrivera, mais il s’agit, pour nous, de vivre en plein jour. La volonté de Dieu, c’est que vous viviez ici et maintenant dans la sainteté, c’est-à-dire, précise-t-il, dans l’amour fraternel.
Ceci nous permet de mieux comprendre le sens de la parabole que Jésus propose dans l’évangile de ce dimanche, cette parabole des dix vierges, les cinq sages et les cinq insensées. Le contexte est celui que je viens d’évoquer : le temps est court, le moment du jugement est tout proche, même s’il semble tarder. Dans ce contexte, cette parabole comme d’autres invite à la vigilance et à l’action : « Veillez donc, dit Jésus, car vous ne savez ni le jour ni l’heure ». On peut penser, dans le même sens, à cette autre parabole, celles de talents qu’il s’agit de faire fructifier. À sa manière, Jésus nous invite à sortir de l’insouciance, signifiée par les cinq folles. Sur le déroulement final de l’histoire, nous n’avons pas de prise, et nous n’avons que peu de prise sur son déroulement immédiat. Le coronavirus nous l’apprend assez brutalement. L’insouciance, aujourd’hui, nous pouvons dire que c’est, entre autres, nous laisser prendre par la culture de la consommation, cette culture qui a manifesté son caractère délirant dans les foules qui se sont précipitées dans les commerces il y huit jours.
Veiller, ce n’est pas rester éveillés assis à ne rien faire. Pour Jésus, veiller c’est vivre au jour le jour l’amour fraternel dont parle Paul, l’attention les uns aux autres dans le quotidien de la vie. Et quand le moral en prend un coup, comme en ces temps-ci, en maintenant ouverte la confiance et en s’alimentant les uns les autres dans la foi partagée.