Jésus est secoué, bousculé par la foule dans les rues. Il se retourne et il demande : « qui m’a touché ? » Oui, Dieu est sans cesse sollicité par des milliers et des milliards d’êtres humains. Et pourtant il peut être touché par la prière d’une femme perdue dans la foule. Nous avons parfois le sentiment d’être noyés dans un univers immense. La terre n’est qu’une petite boule dans une petite galaxie. Il suffit de voir le ciel étoilé quand il fait beau. Il y a tant et tant d’étoiles, et chacune d’elles a sans doute plusieurs planètes qui tournent autour d’elles. Et nous sommes là, tout petits devant tant de mondes lointains, devant ce ciel immense et sans fin. Et pourtant Dieu entend la petite prière que nous lui adressons au milieu de cette cohue et de toute cette foule bruyante.
On a parfois l’impression d’être comme une goutte d’eau perdue dans le grand fleuve de l’humanité. Un jour, on est né. Un jour, on mourra. Et il n’y aura plus aucune trace de notre passage. On sera oublié. Et pourtant, non, « Dieu a créé toutes choses pour qu’elle subsistent », comme il est dit dans la première lecture, c’est-à-dire que Dieu a créé toutes choses pour qu’elles existent toujours et pas pour qu’elles disparaissent. Si nous oublions nos morts, Dieu ne nous oublie pas. Notre nom n’est pas inscrit dans un fichier enfermé dans une armoire ou dans un ordinateur. Notre photo n’est pas sur un bureau ou à la maison, une photo qu’on ne voit plus quand on n’est pas là. Notre nom est inscrit sur la main droite de Dieu, comme il est dit par le prophète Isaïe : « vois, j’ai écrit ton nom sur la paume de ma main » (Isaïe 49, 16). Les mains, c’est quelque chose que l’on voit tout le temps devant soi. Qu’elles bougent ou qu’elles restent tranquilles, elles sont devant nos yeux. On les voit tout le temps. Parfois même il y a des gens qui écrivent un numéro de téléphone sur la paume de leur main parce qu’ils n’ont pas de papier pour l’inscrire. S’ils l’écrivent sur la paume de leur main, c’est pour ne pas oublier. Dieu a écrit notre nom sur la paume de sa main. Il ne peut pas nous oublier. Et c’est pour cela qu’à chaque eucharistie nous prions pour nos morts. C’est pour ne pas les oublier.
Et c’est comme cela que nous pouvons transformer le fleuve de l’humanité en une Eglise. Au lieu d’être noyés dans une foule aveugle, nous pouvons créer une Eglise, une communauté. C’est ce que nous faisons ce soir. Nous venons prier ensemble et c’est cette prière qui nous réunit, qui nous élance vers Dieu. Car nous sommes tous tournés vers l’autel où Dieu va se rendre présent par la sainte Eucharistie.
C’est là le grand défi qui nous est lancé : ou bien se laisser bousculer par la foule et par les difficultés, ou bien se rassembler autour de Jésus et de former une communauté et une Eglise. Alors nous ne serons plus une masse d’eau qui pourrit dans les marécages de la vie. Nous serons un peuple rassemblé dans la prière, porté par la prière de ceux qui étaient avant nous sur terre, soutenu par la prière de tous nos frères et sœurs qui aujourd’hui, ici, mais aussi partout dans le monde, font comme nous : se rassembler autour de l’autel pour recevoir la sainte communion, qui est une force de vie et la joie de connaître Dieu.
La prière de chacun de nous est unique, comme nous sommes uniques. Et la petite prière de cette femme malade au milieu de la foule indifférente à toucher Dieu et elle a été exaucée. Que notre communauté de ce soir ne soit pas une foule indifférente, mais qu’elle soit une Eglise. Qu’elle soit riche de nos qualités personnelles, qu’elle soit transformée par la prière, comme ce pain et ce vin seront transformés en corps et en sang du Christ. Nous sommes le peuple de Dieu, uniques et pourtant frères.