Loin de moi l’idée de vouloir déclencher une polémique, mais je crois fondamentalement que l’Église est féminine. L’Église est essentiellement féminine. Vous le savez sans doute, Marie est une figure de l’Église. C’est bien sûr l’image classique de Notre-Dame qui couvre le peuple de Dieu de son manteau.
C’est surtout la véritable nature de l’Église : elle est mariale. Comme Marie, l’Église se reçoit du Christ qu’elle offre au monde. Toutes deux s’en remettent pleinement à Dieu pour donner à leur époque sa présence réelle. L’Église, en effet, consacre aujourd’hui des hosties comme Marie jadis a conçu le Christ : dans la pleine confiance face au mystère absolu de ce qui advient à travers elle.
Par son « oui » entier à l’inouï de Dieu, Marie incarne l’idéal du croyant qui ne peut arriver au Salut et à la pleine réalisation de lui-même que par le don de soi spontané à l’amour de Dieu. Voilà ce que nous enseigne Marie : à nous donner pleinement – presqu’aveuglément – à l’amour.
Pourtant, avec raison, Joseph Ratzinger écrit [in Foi chrétienne] : « C’est un fait assez paradoxal. Le culte de la Vierge est un sujet de division, non seulement entre les confessions chrétiennes, mais entre les catholiques eux-mêmes. Les uns pensent qu’à l’égard de Marie, on n’en fait et on n’en dit jamais trop. Les autres ont plutôt tendance à garder une certaine réserve, voire à justifier au nom de la foi la distance qu’ils prennent à l’égard de certaines dévotions mariales qu’ils soupçonnent de nourrir une piété plus sentimentale que réfléchie ».
Je crois qu’il faut redire que le culte marial est un culte des origines. Il prend appuis sur l’Écriture et sur la plus ancienne Tradition de l’Église, celle de l’Orient comme celle de l’Occident chrétiens. Marie est essentielle à la Révélation de Dieu. Le croyant, par essence, cherche à communier à la pureté de son âme. Au-delà des interprétations divergentes, il est incontestable que Marie occupe une place privilégiée dans l’accomplissement du Salut et la communion des saints.
Essentiellement mariale, l’Église est féminine donc et – j’ose dire – féministe. Depuis les origines. Certains bondiront peut-être face à cette affirmation, arguant sans doute de l’omniprésence des prêtres dans la hiérarchie – ce qui est vrai –, voire cherchant dans l’Écriture, le moindre verset pouvant témoigner de mépris des femmes. On n’est pas obligé d’avoir un regard aussi simpliste, et peut-être instrumentaliste, en tous cas militant sur l’Écriture. On doit, en tous cas, éviter de lire les textes de la Bible avec nos schémas de pensée actuels, surtout en matière de condition de la femme. C’est évidemment inaudible aujourd'hui, dans le contexte actuel, cette parole de saint Paul dans la Première épître aux Corinthiens [14:34] « que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d'y parler. »
Mais, pour un lecteur de l’époque, ce qui frappe avant tout, c’est que ce texte affirme qu’il y a des femmes dans les assemblées. Ça ne se voit nulle part ailleurs, dans aucune religion. La présence égalitaire des hommes et des femmes au sein des assemblées, depuis les origines, est un signe du féminisme de l’Église.
De même, la manière scandaleuse avec laquelle Jésus s’adresse spontanément aux femmes. On ne parle pas à une femme seule ; c’est inimaginable pour l’époque. Nous ne voyons plus le scandale qu’il y a à s’adresser directement à la Samaritaine. Mais c’est un geste hautement transgressif pour le contemporain de Jésus. Il y plein d’autres exemples, le plus parlant sans doute étant que, dans l’Évangile, Jésus est dit de nombreuses fois « Fils de Marie ». Dans une culture où on n’est jamais désigné qu’en référence à son père, l’appellation normale, attendue, c’est « Jésus, fils de Joseph ». C’est presqu’une insulte de le désigner comme « Fils de sa maman ». Pourtant l’Évangile a cette audace. Enfin, on sait tous la place centrale qu’occupent les femmes aux premiers instants de la Résurrection. Là aussi, il aurait été facile de ne pas en faire mention.
Alors je ne fais pas l’impasse sur l’omniprésence des prêtres dans la hiérarchie ecclésiale, ni sur le fait que le sacerdoce soit réservé aux hommes. C’est un fait. Il y a là derrière deux questions : celle de la hiérarchie et celle du sacerdoce masculin.
Je crois fondamentalement, contrairement à la culture ambiante qui a tendance à réclamer l’égalité homme-femme, qu’il y a urgence à préserver leur spécificité. L’Église n’a, à mon sens, pas à promouvoir une idéologie qui voudrait faire de la femme l’égale de l’homme, mais bien l’égale d’elle-même. Vouloir faire de la femme l’égale de l’homme, c’est encore la définir par rapport au masculin. L’Église est là pour amener chacun à l’accomplissement de sa personne. Elle reconnaît la spécificité de chacun dans le corps que Dieu lui a donné. En ce sens, les rôles féminin et masculin au sein de l’Humanité ne sont pas interchangeables.
Aussi, l’Église ne pourra-t-elle non plus jamais demander à une femme de renoncer à la maternité, à l’enfantement. Ni même demander à celles qui n’ont pas eu d’enfant, de renoncer à la maternité. Je prends l’exemple de Carine qui, pour l’instant, enfante ce sanctuaire. Je crois qu’il y a une manière spécifiquement féminine et une manière spécifiquement masculine de faire advenir au monde la présence incarnée de l’amour de Dieu. Et ceci peut justifier de réserver une part spécifique aux hommes. En tous cas, il ne s’agira jamais de prôner l’interchangeabilité de chacun. L’Écriture insiste beaucoup sur la spécificité des charismes.
Là où l’Église a encore des progrès colossaux à faire, c’est à propos de la présence féminine dans la hiérarchie, dans le pouvoir de décision, d’orientation. Et c’est sans doute ce qui se dessine aujourd’hui sous l’impulsion du pape François. L’Église doit encore réaliser l’égale importance de la présence des femmes au sein des postes de gouvernement.
Alors comment finalement résoudre la tension qui persiste entre une hiérarchie sacerdotale – et donc masculine – et cette nécessité de féminiser le gouvernement de l’Église ? Essentiellement en laïcisant la hiérarchie ; laissant aux prêtres la seule discipline des sacrements. En effet, ce n’est pas l’ordination qui procure la faculté de gouverner l’Église ; c’est la sainteté. Et la sainteté ne fait pas acception de genre. Marie en est le meilleur exemple.
On peut se réjouir que, tant au niveau diocésain qu’au Vatican, ce mouvement de laïcisation du gouvernement soit en marche. Il reste cependant des pas de géant à faire.
Prions Marie, que sa bienveillante maternité élève l’Église à reconnaître sa féminité.