Le jeudi saint est traditionnellement le jour où nous célébrons l’institution de l’Eucharistie. Et paradoxalement, nous lisons le seul Évangile – celui de Jean – qui n’en fait pas mention. Il n’y pas les paroles « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang » dans Jean. A la place, à l’occasion de la dernière Cène, on trouve le récit du lavement des pieds.
C’est donc aujourd’hui que nous célébrons l’institution de l’Eucharistie, la première messe célébrée par le Christ et c’est aussi, par conséquent, la fête des prêtres. Partout dans l’Église, on célèbre aujourd’hui le sacerdoce chrétien. Nous nous sommes d’ailleurs réunis entre prêtres ce midi pour un repas de fête.
Je voudrais réfléchir avec vous à la notion de prêtrise. Certains diront qu’aujourd’hui l’institution sacerdotale est en crise – crise des vocations ; crise de la pédophilie – suggérant parfois des solutions très immédiates. Je ne vais parler ici du mariage des prêtres et d’autres questions du genre, qui sont pour moi toujours le signe d’un débat immature, qui ne comprend pas très bien finalement la nature du sacerdoce à la suite du Christ. Partir des problèmes actuels du sacerdoce institué pour réfléchir sur la nature du prêtre au sein de l’Église est certainement prendre le problème à rebours et d’un point de vue très terre à terre.
Au contraire, je nous propose d’ouvrir au plus large notre champ de vision et de partir de ce qu’on appelle le sacerdoce commun des fidèles. Nous sommes tous prêtres – voilà ce que dit l’Église. « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1 Pi 2, 9). A notre baptême, nous avons tous reçu l’onction du Saint Chrême qui a fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois. Des rois, c’est-à-dire des personnes capables de gouverner personnellement nos vies ; des prophètes, c’est-à-dire des visionnaires de l’Au-delà ; des prêtres, c’est-à-dire des intendants de notre vie spirituelle.
Nous sommes tous prêtres. Le baptême a fait de notre corps le temple de l’Esprit Saint, la demeure de Dieu, en soi une petite Église. Nous sommes tous, individuellement, responsables du culte que nous rendons à Dieu par notre vie. Tous, nous sommes appelés à incarner par notre existence la dynamique sacerdotale : s’offrir en sacrifice pour témoigner des merveilles de Dieu et rendre raison, en toute circonstance, de l’espérance qui est en nous d’une vie éternelle (cf. Lumen Gentium 10). C’est cela un prêtre, celui qui offre des sacrifices pour Dieu.
Votre prière, le temps de service, l’empathie que vous avez envers celles et ceux qui souffrent, votre simple présence parfois sont autant de sacrifices de votre personne, autant d’hosties que vous offrez à la louange de Dieu. A chaque fois que, par amour du Christ, nous nous offrons à notre prochain, nous sommes un prêtre qui dit « Ceci est mon corps, livré pour vous ». Au-delà, certains d’entre nous sont ordonnés, c’est-à-dire qu’ils font profession de se sacrifier par amour, mais la nature du sacrifice reste la même.
Plus que le récit de l’institution de l’Eucharistie, celui du lavement des pieds rend particulièrement compte de ce sacerdoce commun des fidèles : il s’agit pour tous de prendre la tenue de service, de s’abaisser, de renoncer à soi – le lavement des pieds est un geste d’esclave – pour apporter du soin à la vocation de notre prochain. « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. »
Enfin remarquons que Jésus lave les pieds de Judas qui va le trahir ; au cours de son dernier repas, le Christ prend soin de la vocation de celui qui va pourtant l’envoyer à la mort. Derrière ce geste d’un amour inouï, purement sacrificiel – « il les aima jusqu’au bout » dit le texte – se trouve toute la liberté laissée par nos soins, toute la gratuité de notre service au monde, quitte à se laisser crucifier. Mais on voit aussi se profiler en Judas toutes les trahisons que l’on pourra voir surgir au sein du sacerdoce chrétien, celles de ceux qui sont là non pour servir mais pour se servir. Voilà matière à réfléchir à beaucoup de crises, qui ont toutes comme fondement ce refus du sacrifice de soi pouvant aller jusqu’à la prédation.
Eucharistie, hostie, sacrifice, don de soi : spirituellement, tous ces termes sont synonymes et nous sommes tous appelés à y prendre part, à faire de notre vie une offrande gratuite à l’amour de Dieu et de notre prochain. En ce sens, nous sommes tous prêtres et c’est aujourd’hui notre fête, celle du jour où le Christ s’est abaissé pour nous envoyer en mission, offrir au monde les fruits de son amour divin.
Si je suis ici l’intendant de la prière commune, nous sommes tous des prêtres, des intendants de nos sacrifices personnels, des gens appelés à faire de leur vie un culte rendu à Dieu, une Eucharistie. Bonne et heureuse fête à toutes et tous.