Dans le très court extrait d’évangile que nous venons d’entendre, Jean semble se répéter et il y a deux mots qui reviennent d’ailleurs à plusieurs reprises… Le mot « amour » apparaît 4 fois. Il y a cependant un autre terme qui a davantage d’occurrences. Il s’agit du mot gloire ! Ce mot est utilisé 5 fois. Si, dans le langage courant, la gloire est spontanément associée à la célébrité, il en va autrement dans le vocabulaire biblique. Le mot gloire est fréquemment utilisé dans des sens très différents, presque ambivalents. Glorifier signifie littéralement « donner du poids ». Glorifier quelqu’un, c’est le révéler tel qu’il est, donner du poids à ce qu’il est ! C’est faire en sorte qu’il s’épanouisse, qu’il resplendisse. La gloire de quelqu’un rayonne lorsque de la valeur est donnée à ses paroles, de l’épaisseur à sa vie ! Aimer quelqu’un, c’est le glorifier…
Une première question qui nous est adressée aujourd’hui est dès lors très simple : à qui voulons-nous… donner du poids, du crédit, de la valeur ? Autrement dit, pour qui et comment voulons-nous mener les vrais combats ? Est-ce en considérant la vie avec légèreté ? Ou est-ce avec des attitudes qui donnent vraiment du poids à ceux qui n’en ont pas ?
L’évangile nous questionne donc sur le poids que nous donnons… mais aussi, plus subtilement, sur ce que nous faisons peser aux autres !
En effet, tout être humain a son poids à porter : son histoire, ce qu’il a reçu de ses parents, ses responsabilités, ses blessures… Il y a bien sûr le poids que nous donnons aux êtres, mais il y a aussi tout ce que nous faisons peser —consciemment ou non— sur les autres, tout ce qui est finalement pesant dans notre vie et qui nous tire peut-être vers le bas. Parfois, nous nous en déchargeons sur les autres, par fragilité ou lâcheté. Pour s’en convaincre, pensons simplement à ces parents qui « pèsent sur leurs enfants et leur demandent d’accomplir leurs espoirs déçus, de combler leurs manques ». Comment les enfants peuvent-ils alors entendre l’invitation à honorer leurs parents ? N’est-ce pas justement en leur rendant le poids qui est le leur… et en ne portant pas ce qu’ils n’ont finalement pas à porter ?
Certes, nous sommes invités à donner du poids à l’autre, à ceux qui n’en ont pas… Mais d’un autre côté, nous ne pouvons pas tout porter ! L’être humain a ses responsabilités, mais aussi ses conditionnements, ses angoisses. Il y a ces valises de la vie que nous ne pouvons porter seuls : qu’elles soient humaines, affectives, transgénérationnelles…
C’est comme si cet évangile nous conviait à trouver un réel équilibre dans nos relations. Pour cela, il s’agit de mettre de la valeur là où elle doit être, mais aussi d’accepter que les autres doivent porter les enjeux qui sont les leurs… Car, comment s’épanouir si nous portons sans cesse des poids qui ne sont pas les nôtres ? N’est-il pas mieux, parfois, de donner du poids… que d’en prendre ?
Finalement, le véritable poids d’une personne, sa gloire au sens le plus noble du terme, surgit de sa capacité à aimer. Et c’est ce que l’évangile nous montre, en mettant « en balance » amour et gloire. La vérité ultime de ce que nous sommes, notre gloire, c’est bien notre capacité à aimer ! Être glorifié —ce à quoi nous sommes tous destinés— c’est découvrir de la consistance dans sa vie, c’est découvrir du poids dans ce que nous faisons, même dans les choses qui semblent insignifiantes.
Dans l’évangile de Jean, c’est au moment précis de la trahison que la « gloire » est manifestée. La gloire de Dieu, son pesant d’amour se manifeste donc pleinement à l’instant où commence la passion, dans l’acte d’amour qui va jusqu’à donner sa vie librement pour ses amis. L’amour n’est donc pas un commerce, un donnant donnant. Jésus ne dit pas « Aimez-moi comme je vous ai aimés », mais « Aimez-vous comme je vous ai aimés ». L’amour qui vient de Dieu est donc circulation de vie. Il inscrit de la permanence, de l’éternité, dans l’impermanence de nos désirs. Et si nous sommes tous convaincus qu’il faut aimer —pas besoin de l’évangile pour nous le dire—la nouveauté de ce commandement est bien d’aimer comme Jésus nous a aimés. C’est-à-dire d’avoir le courage d’aimer comme lui.
Il ne s’agit pas seulement d’aimer les autres comme nous-mêmes, mais d’aimer comme Jésus, dans un amour qui est don, entier, définitif, gratuit. C’est offrir, par des gestes concrets, un pesant d’amour.
Comment découvrir la vérité ultime de notre être ? Simplement peut-être, en donnant plus de poids aux autres… En rendant un être aimé consistant, en lui faisant découvrir davantage de densité dans sa vie. Et si notre culture contemporaine préfère l’amour de la gloire, le Christ nous ouvre à la gloire de l’amour… C’est à cela que nous reconnaissons les disciples du Ressuscité.
Voilà notre joie profonde : l’inscription en nous de ce qui ne passera jamais, autrement dit l’amour qui vient de Dieu, et qui donne du poids à nos paroles et nos actes. Amen.