On pourrait appeler cette parabole la fable du coq et du ver de terre. il était une fois un coq qui croyait régner sur la basse-cour. Il circulait la tête haute et le torse bombé. Sa crête sursautait à chacun de ses pas, comme un étendard à la tête d’une armée. De temps en temps, il lançait un fier cocorico qui réveillait les nourrissons et agaçait les voisins encore endormis. Un petit ver de terre rampait sur le sol dégarni. Exposé à tous les dangers, il regardait à gauche et à droite. Apeuré parfois, attentif tout le temps, il aimait pourtant rendre service. Ainsi un petit brin d’herbe avait miraculeusement échappé aux picorements du coq orgueilleux. La petite plante manquait d’air et d’eau autour de ses racines à cause du sol durci le piétinement du fier gallinacé. Le ver plongea dans le sol, y creusa deux ou trois petites galeries, et l’herbe desséchée reprit bien vite vie. Mais un beau matin, le fermier surgit, prit le coq par le cou et le déposa sur le billot. Le bel emplumé, jadis terreur du poulailler, termina sa course dans un bouillon bien assaisonné.
Quelle leçon tirer de cette petite histoire champêtre ? La première leçon serait que parfois nous sommes aveuglés par une fausse sécurité. Nous pensons être maîtres des événements et même de notre entourage. Ce sont des moments agréables à vivre, mais bien trompeurs. Nous pensons pouvoir entreprendre de grandes choses, mais la hache tombe et tout prend fin. Cela peut être la maladie ou la révolte d’un proche trop longtemps négligé ou maltraité. La chute est d’autant plus dure qu’on se croyait monter très haut.
Quelle attitude faut-il donc adopter ? Faudrait-il se considérer comme un misérable ver de terre et ne jamais relever la tête ? Certes non. Jésus n’est pas resté toute sa vie caché à Nazareth. Il est allé dans la Samarie ennemie et dans la Judée hostile. Il a prêché, il a guéri, il est monté à Jérusalem. Il a entraîné avec lui des hommes et des femmes qui n’ont pas hésité à tout quitter pour aller dans le monde entier annoncer la bonne nouvelle. Ils étaient fiers et courageux, mais ils savaient qu’ils tiraient leur force de Dieu. Ils voyaient bien la différence entre la vie triste et sombre qu’ils menaient avant de connaître Jésus. Ce fut ensuite une vie difficile, mais exaltante, parce que pleine d’une présence chaleureuse et bienveillante. Ils ne regardaient pas le monde d’en haut par orgueil, ni d’en bas par une fausse et malsaine humilité. Ils considéraient la vie comme un défi qui leur était lancé, celui d’annoncer partout dans le monde l’amour que Dieu offre à chacun d’entre nous. Et cet amour, nous en recevons encore la preuve aujourd’hui dans l’Eucharistie. Dieu se donne à chacun d’entre nous, et c’est à nous de le porter aux autres afin que eux aussi connaissent le bonheur d’être aimés et d’être appelés enfants de Dieu. Grâce à lui, tout est possible. Avec lui, tout est nouveau. Nous osons apporter aux autres l’air frais de la liberté et l’eau pure de la tendresse. Grâce à nous, ils peuvent revivre. Ils sont comme ressuscités. Nous aussi, remplissons-nous de cette vie nouvelle pour l’offrir à tous nos proches et à tous nos voisins.