Jeudi Saint

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 6/04/23
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A
Année: 2022-2023

On voudrait tous laisser quelque chose derrière soi. Normalement, les parents laissent leurs enfants. Ce sont eux qui porteront le même nom et qui continueront la tradition familiale. D’autres rêvent de laisser leur nom à une étoile ou à une invention. D’autres enfin rêvent de laisser un grand empire politique et ils n’hésitent pas pour cela à faire la guerre ou à lancer des attaques violentes. L’idée pour eux est que tout vaut mieux que l’oubli. Ils veulent absolument laisser une trace indélébile sur la terre, dans le monde, dans l’humanité.

Ce n’est bien évidemment pas cela ce que Jésus a voulu faire avec l’eucharistie. Tout d’abord, parce que ces dictateurs qui veulent détruire le monde pour qu’on se souvienne d’eux ont tous peur de disparaître dans l’oubli après la mort. Jésus ne connaît pas cette peur, parce qu’il va retrouver l’amour de son Père, là-bas dans les cieux, avec le Saint-Esprit et tous les anges du paradis. Jésus est vivant pour l’éternité. Il n’a pas peur d’être oublié. Le Père le contemple tout le temps avec amour et bienveillance. Si Jésus a voulu nous laisser l’eucharistie, c’est parce qu’il a agi comme une mère avec son enfant qui part pour un long voyage. La mère lui a préparé toutes sortes de vêtements, depuis l’écharpe jusqu’aux moufles : il ne faut pas que son petit garçon n’ait pas froid, même s’il part pour l’Espagne ou pour le Maroc. Mais jésus est plus intelligent qu’une mère qui pourtant fait tout ce qu’il faut.

Jésus s’est dit qu’il ne fallait pas nous laisser seuls et sans soutien. Il n’a pas voulu nous laisser simplement une photo ou un numéro de téléphone. Il a voulu rester présent au milieu de nous, avec nous, en nous. Il nous a donné son Corps et son Sang. Et cela s’est déjà immense. On voit toute la progression dans l’histoire du salut. Le Seigneur avait tout d’abord donné l’arc-en-ciel comme signe d’alliance avec Noé. Après le déluge, quand tout a été détruit, le Seigneur a placé dans un endroit inaccessible et pourtant bien visible pour tous un signe indestructible de son amour : l’arc-en-ciel qui brille parfois, on ne sait pas trop pourquoi, mais qui apparaît après la pluie avec le soleil. Ce premier signe d’alliance de Dieu avec les hommes était déjà un signe de sa proximité et de sa bonté. Après la pluie vient le soleil et l’arc-en-ciel, c’est-à-dire un clin d’œil de Dieu qui nous dit : « tu vois, je suis là. »

Il y a eu ensuite la circoncision. Là c’est dans la chair de l’homme que ce signe est imposé. Plus moyen de l’enlever. Il résiste à tout. Il reste à tout jamais. C’est le preuve que Dieu n’était pas quelqu’un d’étranger, mais que son alliance est tout entière inscrite dans notre vie, dans notre cœur, dans notre corps. Il en est de même mais de façon moins visible pour le baptême. Trop souvent, nous considérons que le baptême est une formalité administrative, comme lorsqu’on va à la maison communale et qu’on s’inscrit dans les registres, ou comme quand on va à la banque et qu’on signale son nouveau domicile. Le baptême est beaucoup plus que cela et on le voit dans l’histoire de l’Église. Chez les premiers chrétiens, ce n’était qu’après le baptême que l’évêque expliquait aux nouveaux baptisés les mystères de la foi chrétienne. Avant cela, les catéchumènes recevaient un enseignement moral. Ils apprenaient tout d’abord à vivre en bons chrétiens. Ce n’était qu’après la baptême qu’on leur expliquait tout ce que Jésus avait fait pour eux et pour nous, et qu’on leur expliquait le mystère de l’Église et des sacrements. Pourquoi ? Parce que c’était tellement beau, tellement grand qu’il fallait avoir reçu la grâce du sacrement du Saint-Esprit pour pouvoir le recevoir et le comprendre.

Il en est de même pour l’eucharistie que nous célébrons aujourd’hui et tous les jours. Il faut la grâce du sacrement pour comprendre et pour profiter pleinement de la présence de Dieu dans notre vie. Si nous regardons l’hostie avec notre seule intelligence humaine, nous ne voyons qu’un morceau de pain. Si nous laissons agir la grâce du sacrement, nous pouvons adorer la présence de Dieu dans le pain et le vin, et recevoir pleinement la grâce de sa présence dans notre corps, dans notre chair.

Le Christ n’a pas voulu nous laisser seuls. Il a voulu rester auprès de nous à chaque étape de notre vie par les différents sacrements et, en particulier, par le sacrement de la sainte eucharistie. Disons-lui merci aujourd’hui encore une fois et laissons croître en nous la force de son Esprit.