Vendredi Saint

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 7/04/23
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A
Année: 2022-2023

On imagine Jésus abandonné sur le chemin de la croix et sur le mont Golgotha. Et c’est vrai que tous ses disciples et ses amis se sont enfuis. Et pourtant il en rencontre du monde sur la route ! Quelle est cette femme qui fend la foule et qui essuie son visage ? C’est sainte Véronique, une inconnue.

Nulle part, on en parle dans les évangiles. Et pourtant, si la prière du chemin de croix nous l’offre à notre méditation, c’est qu’il y a une raison. Et cette raison, la voici : dans notre vie, aux moments les plus difficiles et les plus solitaires, il y avait des gens que nous ne connaissions pas et qui nous ont aidés. Ce ne sont pas eux qui ont apporté une solution à notre problème, ou nous ont guéris de la maladie, ou nous ont arrachés à la brutalité de certaines personnes, mais ce sont des personnes qui sont tombées du ciel et qui nous ont apportés un peu d’aide et de soutien, un peu de prière, parfois même sans que nous le remarquions. Bien au contraire ! Ils nous ont parfois dérangés. Imaginez ! Une femme fend la foule et essuie le visage de Jésus. Personne ne nous dit que cela a fait plaisir à Jésus, que cela l’a soulagé, qu’il en était content et satisfait. Et pourtant on ne peut pas dire que cela ne venait pas du cœur, que cela n’était pas un geste spontané et bienveillant. Jésus était entouré de soldats qui le bousculaient, et de la foule qui se moquait de lui. Et voilà qu’une femme fend la foule. Lorsque nous marchions sur la route de la vie, la vue troublée par les larmes qui inondaient les yeux, une personne a pu surgir, indiscrète et inattendue, et nous a rendu un petit service : elle a pu ramasser un sac que nous avions laissé tomber, elle a pu nous ouvrir la porte alors que nous voulions entrer au supermarché, elle a pu nous laisser passer alors que le trottoir était encombré. On ne l’a presque pas vue parce qu’on était noyé de chagrin. Et pourtant elle était là. On ne la connaissait pas. Elle ne nous connaissait pas, mais elle est venue nous aider. Et c’est là le grand danger de notre solitude et de notre souffrance, c’est qu’on ne voit même plus celles et ceux qui viennent nous aider, un tout petit peu, mais qu’ils le font quand même. Demandons à Dieu d’ouvrir nos yeux. Et, si nous ne nous souvenons pas de telles rencontres, demandons-nous si nous n’étions pas aveugles à ce moment-là, comme ces grands garçons qui sont tellement pris par leurs problèmes d’adolescents qu’ils ne voient même plus que leur mère est inquiète et que leur petite amie souffre de cette situation.

Oh ! Ce ne sont pas nécessairement de grands saints. La preuve, c’est ces deux condamnés qui sont à côté de Jésus. S’ils ont été condamnés à être crucifiés, ce n’était pas parce qu’ils avaient volé une pomme ou qu’ils s’étaient battus dans la rue. C’était parce qu’ils avaient commis quelque chose de grave, de très grave, de tellement grave qu’ils ont mérité de pourrir sur la croix pendant des heures, parfois pendant des journées. Et voilà qu’il y en a un qui cherche une belle place dans le royaume de Jésus. Qu’est-ce qu’il en sait de ce royaume ? Vous croyez qu’il a entendu parler des béatitudes : « bienheureux les miséricordieux », lui qui a peut-être tué une petite vieille pour avoir son argent, « bienheureux les purs », lui qui a peut-être brutalisé des jeunes filles et des enfants ? Et pourtant il se tourne vers Jésus et lui demande une belle place dans son royaume. Il est à l’image de certains d’entre nous : nous voulons tellement être heureux, nous cherchons tellement le bonheur que nous demandons des choses bizarres et maladroites. Regardez ces hommes et ces femmes qui sont séparés et qui sont écrasés par la solitude. Regardez ces hommes et ces femmes qui sont mariés, et qui n’arrivent plus à se parler. Tout ce qu’ils disent, tout ce qu’ils font est toujours mal interprété. Nous aussi, on cherche le bonheur et on le fait souvent avec maladresse. Combien de fois est-ce qu’on n’essaie pas d’être gentil avec un frère, avec une sœur, et cela ne marche pas. Bien au contraire, ce frère ou cette sœur nous répond comme si on l’avait blessé.

Non, ce n’est pas facile d’être heureux et de rendre les gens heureux. Jésus l’a bien vu pendant sa vie terrestre, et nous, nous le vivons tous les jours dans la communauté avec nos frères et nos sœurs. On est parfois comme sainte Véronique et on dérange. On est parfois comme le bon larron et on demande des choses stupides. Il faut avoir la profondeur du regard de Jésus pour pouvoir dépasser toutes ces maladresses, et pour pouvoir retrouver la beauté du cri d’amour et de désespoir que nous poussons parfois vers Jésus, et que les autres poussent parfois vers nous. Il faut avoir la même profondeur de regard que celui que nous posons sur le pain et la vin qui sont sur l’autel. C’est comme cela que nous pouvons voir Jésus vivant au milieu de nous, et toujours bienveillant.