Quatrième dimanche de Carême

Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique: B
Date : 10 mars 2024
Auteur: André Wénin

« C’est par grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi.
Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu.
Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil. »

(Lettre aux Éphésiens 2,8-9)

L’alliance entre Dieu et Israël a été formalisée dans les textes bibliques sur le modèle des traités de vassalité courants dans le Proche-Orient au premier millénaire avant notre ère. C’est ainsi qu’elle est régulée par une loi (voir commentaire du 3e dimanche). C’est en respectant cette loi que le peuple témoignera concrètement de sa loyauté à son seigneur. Dès lors, transgresser cette loi constituera une infidélité qui ne sera pas sans effet sur leur relation. Les traités prévoient donc des sanctions en cas d’infidélité caractérisée, alors que la fidélité sera source de bienfaits dont le peuple bénéficiera (voir par ex. Deutéronome 28). La première lecture de ce dimanche commence par raconter la rupture par Israël de l’alliance conclue au Sinaï sur la base des Dix paroles.

L’alliance rompue… mais pas définitivement (2e livre des Chroniques 36,14-23)

[Dans la traduction ci-dessous, je mets entre crochets les 2 versets que le censeur a escamotés. Il ne faudrait pas que les fidèles entendent que – quelle horreur ! – le Seigneur lui-même a, dans sa colère, envoyé Nabuchodonosor et les armées babyloniennes massacrer la population de Jérusalem ! Quant aux objets de culte, quelle importance ces vieilleries peuvent-elles bien avoir ?]

Tous les chefs des prêtres et le peuple multiplièrent les pires infidélités, en imitant toutes les abominations des nations, et ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem. Le Seigneur, le Dieu de leurs pères, sans attendre ni se lasser, leur envoya des messagers, car il éprouvait de la compassion pour son peuple et sa Demeure. Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu, méprisaient ses paroles, et se moquaient de ses prophètes ; finalement, il n’y eut plus de remède à la colère grandissante du Seigneur contre son peuple. [Alors il amena contre eux le roi des Babyloniens et il tua par l’épée leurs jeunes gens dans leur temple, il n’épargna ni le jeune homme ni la jeune fille ni le vieillard ni l’infirme : il livra tout en son pouvoir. Quant à tous les objets de la Maison de Dieu, grands et petits, ainsi que les trésors du roi et de ses princes, il emporta tout à Babylone.] Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu, abattirent le rempart de Jérusalem ; tous ses palais, ils les incendièrent et tous leurs objets précieux, à la destruction ! (Nabuchodonosor) déporta à Babylone ceux qui avaient échappé à l’épée ; ils devinrent les esclaves du roi et de ses fils jusqu’au temps de la domination des Perses, pour que s’accomplisse la parole du Seigneur proclamée par Jérémie : le temps que le pays récupère tous ses sabbats, il se reposera, dévasté, jusqu’à ce que 70 ans se passent.

Or, la première année du règne de Cyrus, roi de Perse, pour que se réalise la parole du Seigneur proclamée par Jérémie, le Seigneur inspira Cyrus, roi de Perse. Alors celui-ci fit proclamer dans tout son royaume, et même consigner par écrit : « Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : tous les royaumes de la terre, le Seigneur, le Dieu du ciel, me les a donnés ; et il m’a chargé de bâtir pour lui une maison à Jérusalem qui est en Juda. Qui parmi vous fait partie de son peuple ? Que le Seigneur son Dieu soit avec lui, et qu’il monte ! »

La relation entre des alliés est rarement sans problème. Il arrive que l’un des deux donne un coup de canif dans le contrat. Ce n’est pas pour autant la fin du lien d’alliance. Le partenaire fautif peut demander pardon, s’amender et redevenir loyal. Mais il arrive aussi que le partenaire lésé prenne appui sur la confiance mutuelle qui a rendu l’alliance possible pour rendre sa chance à celui qui a fauté et prendre l’initiative du pardon. C’est ce qu’évoque la toute dernière page de la Bible hébraïque proposée sous forme amputée dans la liturgie de ce dimanche.

Le livre des Chroniques offre un ample récit qui commence avec la généalogie d’Adam puis des tribus d’Israël et qui se poursuit par l’histoire de la période dite « royale » qui s’achève avec la déportation à Babylone – en gros de l’an 1000 à 538, année de l’édit de Cyrus mentionné à la fin de la lecture. Écrit par des lévites dont la fonction est centrée sur le culte du temple, le livre s’intéresse surtout à cet aspect de l’histoire. Il s’attarde en particulier aux règnes de David et Salomon, présentés respectivement comme l’organisateur du culte et le bâtisseur du temple de Jérusalem. Il parcourt ensuite le reste de l’histoire des rois de Juda, histoire marquée par des infidélités répétées à l’alliance, surtout en matière de culte.

Le début du texte ci-dessus résume cette période de l’histoire d’Israël comme celle d’une grave crise de l’alliance. Entraînés par les rois, le haut clergé et le peuple ne cessent d’être infidèles à Dieu. En imitant les autres nations, ils renoncent à ce qui fait leur différence : le lien au Seigneur. Ils lui préfèrent les « abominations », un terme qui désigne les idoles – et les Dix paroles ne laissent aucun doute sur le fait que l’idolâtrie est incompatible avec l’alliance. De plus, ils profanent le temple, manifestant un manque de respect profond pour la demeure de leur Allié divin, c’est-à-dire pour sa présence au milieu d’eux. Quelle est alors la réaction du Seigneur ? Il éprouve de la compassion à la fois pour son peuple et pour lui-même, ce qui le pousse à multiplier les tentatives désespérées pour épargner Israël et préserver la relation avec lui, relation symbolisée par la « Demeure ». C’est ainsi qu’il envoie de nombreux messagers, mais face à eux, le peuple s’enfonce dans le mépris de Dieu, de sa parole, de ses prophètes et de leurs efforts pour le ramener au Seigneur.

Ces tentatives aussi vaines que répétées de Dieu finissent par démontrer que la maladie du peuple est inguérissable : aucun remède n’y pourra rien. Les échecs répétés que le Seigneur subit l’« échauffent » toujours plus (métaphore de la colère), jusqu’au point de rupture. L’invasion des Babyloniens de Nabuchodonosor apparaît alors comme une intervention de Dieu – qui montre en cela qu’il est bien le maître de l’histoire. Puisqu’Israël n’a rien voulu comprendre, le Seigneur change de méthode. En donnant carte blanche aux ennemis, il laisse le peuple subir les malheurs desquels l’alliance l’avait protégé depuis la libération d’Égypte, à savoir la violence arbitraire d’un nouveau pharaon, la perte de son pays et l’humiliation de l’esclavage. Quant au vol des objets du culte, à l’incendie du temple et à la saisie des objets précieux, ils sont le signe de la ruine de l’alliance et de la perte des bienfaits qu’elle garantissait à Israël.

D’une certaine façon, cependant, dans la catastrophe elle-même, Dieu montre encore combien il reste un partenaire fiable. Par le prophète Jérémie, en effet, il a annoncé à Israël à la fois le désastre qu’il connaîtra, mais aussi le délai où l’épreuve cessera (Jérémie 25,8-12).

Voici ce qu’a dit le Seigneur de l’univers : « Puisque vous n'avez pas écouté mes paroles, je vais prendre et envoyer tous les clans du Nord, oracle du Seigneur, ainsi que mon serviteur Nabuchodonosor, roi de Babylone, et je les ferai venir contre ce pays, contre ses habitants et contre toutes les nations qui l’entourent. Je les vouerai à la destruction et je ferai d’eux une dévastation et une moquerie. […] Tout ce pays deviendra une ruine, un endroit dévasté, et ces nations seront esclaves du roi de Babylone pendant 70 ans. Cependant, lorsque ces 70 ans seront passés, j’interviendrai contre le roi de Babylone et contre son peuple à cause de leurs fautes, oracle du Seigneur, ainsi que contre le pays des Babyloniens, duquel je ferai un désert pour toujours.

Les 70 ans correspondent, ajoute l’auteur du livre des Chroniques, à la « récupération des sabbats » dont le pays s’est vu privé à cause de l’infidélité d’Israël à la loi. Car, au chapitre 25 du livre du Lévitique (v. 1-7), la loi de l’alliance stipule qu’il faut laisser la terre se reposer tous les sept ans. Faute de quoi, est-il précisé (Lévitique 26,34-35),

le pays compensera ses sabbats durant toute la période où il sera dévasté et où vous serez dans le pays de vos ennemis ; oui, alors le pays se reposera et récupérera ses sabbats. Durant toute la période où il sera dévasté, il aura le repos qu’il n'avait pas eu pendant vos sabbats, tandis que vous l’habitiez.

Bref, faute d’avoir respecté le don de Dieu en consentant à limiter l’exploitation de la terre, Israël en sera privé. Et puisqu’il s’est fait esclave de son désir de profit sans limite, pris à son propre jeu, il deviendra l’esclave d’un roi étranger.

Ainsi, en citant Jérémie et le Lévitique, l’auteur des Chroniques manifeste que, malgré tout, Dieu reste fidèle à lui-même. S’il a livré Israël aux conséquences de son refus de l’alliance, il mettra également fin à son épreuve. Car à propos des 70 ans, le même Jérémie précise plus loin qu’une fois ceux-ci passés, viendra l’heure du retour en grâce pour Israël : « Ainsi a dit le Seigneur : dès que 70 ans seront passés pour Babylone, je vous visiterai et j’accomplirai en votre faveur ma promesse de vous ramener en ce lieu [Jérusalem] » (Jérémie 29,10). Quoi qu’il en soit de l’infidélité du peuple et de son refus de l’alliance, Dieu se montre fidèle envers et contre tout. Sans doute espère-t-il que, ayant été confronté aux conséquences de sa faute, le peuple aura mûri au creuset de l’épreuve et sera disposé à se montrer loyal envers ce dieu de miséricorde.

De même que le malheur est arrivé par un roi étranger envoyé par le Seigneur, c’est un autre roi qui, inspiré par le même Seigneur, sonne l’heure de l’accomplissement de la parole proclamée par Jérémie. Dans l’édit de Cyrus, résonne l’écho de quelques expressions typiques de l’Exode : Israël peuple de Dieu, « je serai avec toi/vous », « je vous ferai monter (d’un pays étranger) ». C’est donc un nouvel exode que cet édit met en branle, dont le but sera de bâtir une Demeure pour Dieu, signe de la restauration du lien d’alliance qui unit Israël à son Seigneur et qui permet à celui-ci de venir habiter au milieu des siens. Au-delà du malheur qu’Israël a attiré sur lui-même, le Dieu bienveillant et fidèle rend sa chance à quiconque entendra l’appel de Cyrus. Tel est le dernier mot de l’Ancien Testament, selon l’ordre de la Bible hébraïque.

Venir à la lumière (Jean 3,14-21)

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »

Quelques mots sur ce passage où il est aussi question de jugement. Ici, chacun se juge lui-même quand, face à la lumière, il se dissimule, préférant l’obscurité qui cachera ses œuvres dont il a conscience qu’elles sont mauvaises. Mais quelle est cette lumière ? Selon le début du 4e évangile, c’est la parole de Dieu en Jésus qui illumine tout être humain. Cette parole révèle la vérité cachée de chacun. Derrière les apparences, en effet, derrière ce que chacun voit de lui-même, se cache tout un monde fait de désirs, de craintes, d’attentes, de rêves par rapport à lui-même, à ses proches, à la société, à la vie. Souvent, c’est ce qui est ainsi caché qui pousse à agir sans que l’on s’en rende compte. C’est ce que Paul exprime quand il affirme : « je ne fais pas le bien que je veux (consciemment) mais le mal que je ne veux pas, je le fais » (lettre aux Romains 7,19).

Il est difficile d’ouvrir les yeux sur ce monde caché susceptible de nous manipuler à notre insu, de le laisser venir à la lumière. Mais Jésus, celui qui, élevé en croix, donne sa vie pour ses amis car il n’est pas venu pour juger, mais pour sauver, ce Jésus révèle un Dieu qui veut la vie et qui aime les humains au point de tout leur donner. Croire en Jésus, c’est cesser d’avoir peur de tout ce qui se cache en soi, parce que c’est se savoir aimé inconditionnellement par Dieu. Confiant dans cet amour qui précède chacun et l’attend sans juger, il est possible d’oser se regarder tel que l’on est, sans angoisse. Peut alors commencer un travail de lucidité à la lumière de la parole de Jésus, condition pour une conversion de la personne et une ouverture à la vie qui demeure à travers la mort.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin