Lorsqu'un frère dominicain entre au noviciat ou prononce ses v½ux, juste après la lecture de l'évangile, il vient se placer dans le ch½ur de l'église. Là, il se couche les bras étendus en croix. Le provincial qui est venu se placer devant l'autel lui adresse ces mots : « que demandes-tu ? ». Toujours couché le visage tourné vers le sol, le frère répond : « la miséricorde de Dieu et la vôtre ». Après quelques secondes, le provincial lui dit : « lève-toi ». Le frère se relève et retourne à sa place. Le provincial commence alors son homélie et c'est après celle-ci, que le frère prononcera ses v½ux. Ce moment du rituel des professions est très intense. Il s'agit d'un acte de foi en la miséricorde de Dieu et celle des frères de l'Ordre tout entier. Il est vrai que notre fondateur, saint Dominique, a toujours été pétri de miséricorde face aux égarements de celles et ceux qu'il rencontrait sur sa route. A l'image de Jésus d'ailleurs citant le prophète Osée : « c'est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices ». Comme si Dieu n'attendait pas de nous que nous nous enfermions dans des rites tels que des sacrifices. Il ne peut se contenter uniquement d'une présence autour de l'autel si celle-ci n'enracine pas notre foi dans une manière spécifique de vivre notre vie. Une foi sans miséricorde est une foi insensée, une foi sans racine. Nous serions comme quelqu'un qui met des roses dans un vase à coups de marteau. Il n'y a plus de place pour la compassion, la douceur, la tendresse. En effet, la miséricorde n'est pas un concept théorique. Elle s'inscrit en nous, au plus profond. Elle est ce levier qui nous met en marche à la rencontre de l'autre dans sa réalité souffrante. Nous nous laissons être remués jusque dans nos entrailles. Lorsque la miséricorde effleure notre c½ur, nous permettons à celle ou celui à qui nous l'offrons de se laisser engendrer à nouveau vers une nouvelle forme d'espérance. En d'autres termes, nous pourrions même oser dire que la miséricorde permet une véritable mise à la Vie. Dieu nous a créé d'abord et avant tout pour la vie et non pas pour devoir traverser des moments difficiles et douloureux. L'effroi de ce qui nous arrive ne peut être qu'un passage momentané. Il n'est pas la destinée à laquelle nous sommes appelés. Lorsque nous sommes touchés de plein fouet par ce type d'expérience de vie telle que la maladie, la mort, la perte d'un emploi, nous aimons trouvé sur notre route des hommes et des femmes qui nous tirent vers le haut pour nous permettre une nouvelle mise au monde. C'est pourquoi, la miséricorde, la compassion n'ont rien avoir avec de la pitié. Il s'agit d'une attitude noble du c½ur. La personne compatissante ne peut évidemment pas se mettre à la place de l'autre mais elle l'accompagne sur son chemin de souffrances pour lui permettre de se laisser questionner, interroger afin de permettre à son c½ur de se dévoiler tout en vérité. Oui, malgré ce qui nous arrive, nous sommes appelés à une nouvelle mise au monde, un mise à la Vie que celle-ci soit terrestre ou éternelle. D'ailleurs, la mise à la Vie passe immanquablement par un des fruits de la miséricorde qui est la tendresse. Cette dernière est, entre nous, comme un souffle doux, une brise ineffable qui vient de notre âme, passe par le coeur pour se rayonner en chaleur subtile dans les yeux, la voix, les gestes, en fait dans l'être tout entier. La tendresse est une lumière si fine, si ténue et cependant si forte lorsque nous la recevons. Elle nous illumine de l'intérieur et donne un autre sens à notre vie. Si l'Amour était une fleur, la tendresse en serait son parfum. Ce parfum ne se mendie pas, mais se donne naturellement sans bruit, dans le silence de regards aimants. Donner de la tendresse, c'est donner un peu de la lumière de son âme. Un geste de tendresse est caresse. Prononçons-le, doucement, tendrement, dans l'intime de notre coeur. Aimons le souffle de la tendresse, il dore tout ce qu'il touche et guérit les blessures, surtout les plus profondes. La miséricorde est ainsi ce sentiment merveilleux qui provient du plus profond de nos entrailles pour permettre aux êtres humains de « se tendresser ». « Se tendresser » mais ce verbe n'existe pas, penseront certains. Que du contraire ! Vous ne le trouverez pas dans un dictionnaire, c'est vrai. « Se tendresser » est un verbe qui se découvre en le vivant. Par la miséricorde, je te tendresse et si tu te laisses tendresser, tu me tendresses également. Nous nous porterons ainsi l'un l'autre dans l'amour d'agapè qui nous étreindra. Grâce à la miséricorde, nous assistons à notre mise à la Vie en nous laissant « tendresser ». Ne vous avais-je pas dit que la tendresse est le parfum de l'Amour ?
Amen