10e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

Mt 9, 9-13

 

 

Cela fait maintenant quelques années déjà que je suis en procès avec mes parents. Je les accuse d'avoir quelque peu bâclé le travail de ma conception. Ils auraient quand même pu me faire parfait. Je suis certain que s'ils avaient pris un peu plus de temps, je n'aurais pas aujourd'hui tous les défauts que je dois supporter et que je fais subir aux autres par ailleurs. Puisque mes parents ne voulaient rien entendre des récriminations que je leur imputais, j'ai été dans l'obligation de déposer plainte devant la justice divine. Le pire vient de se produire : le verdict est tombé vendredi dernier et j'ai perdu. Vous vous rendez compte, j'ai perdu alors qu'à mes yeux, ils sont les premiers responsables. Je n'avais pas demandé de naître. La vie, ils me l'ont donnée. En fait, le juge céleste qui doit encore être un de ces grands naïfs existentiels, a estimé tout à fait normal que je sois né imparfait pour que je puisse mieux encore participer à ma propre perfection. Et il a en plus eu le culot de me traiter de pharisien et de me condamner à méditer l'évangile que nous venons d'entendre en m'invitant à prendre plutôt le rôle du publicain dans la vie. On dira ce qu'on voudra, mais avec un jugement pareil, je me dis que « tout fout le camp ». Où est le temps des beaux principes ? Où se situe cette époque où il suffisait de remplir un certain nombre d'obligations et de prescrits pour avoir la conscience tranquille ? Il semble que ce soit avant Jésus Christ, en tout cas avant qu'il ne proclame cette phrase : « C'est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices ».

Dieu le Fils n'a que faire de nos actes, de nos sacrifices, de nos aumônes si celles-ci ne s'incarnent pas dans notre être et ne s'inscrivent pas dans l'amour. Nos sacrifices ne peuvent pas être de simples prescrits de lois que nous accomplissons comme s'ils avaient une existence en eux-mêmes. Ils ne peuvent être dissociés de celles et ceux qui les posent. Un geste ou une parole pourra être un manque d'amour pour l'un et un moyen de grandir pour l'autre alors qu'il s'agit du même acte. Nous n'avons pas tous la même destinée à accomplir. Ce qui est toutefois certain, c'est qu'un sacrifice sans amour n'a aucune valeur pour Dieu. Il ne les voit même pas. En effet, tous nos actes s'enracinent dans nos personnalités, c'est-à-dire qu'ils se réalisent à partir de toutes les forces et les faiblesses qui nous composent. Et cette réalité humaine ne semble nullement effrayer le Christ.

Reprenons l'extrait d'évangile : Jésus ne reproche rien à ce publicain qu'il rencontre. Au contraire, il l'appelle à le suivre tel qu'il est car il sait au fond de lui-même que cet homme, tout fautif qu'il puisse être, est beaucoup plus grand aux yeux de Dieu que les actes qu'il commet. Jésus ne se laisse jamais arrêter par les traces de nos manques d'amour, de nos ruptures d'alliance, signes de notre finitude. Il voit d'abord et avant tout le c½ur de l'homme et il sait que ce qu'il trouvera là est quelque chose de beau, de merveilleux : l'humanité de l'être humain dans toute sa divinité. Dieu connaît la condition de ses créatures. Non seulement, il la connaît mais il semble l'apprécier puisqu'il a fait de chacune et de chacun de nous des co-créateurs de sa propre création. Il attend que nous participions de manière responsable non seulement à l'achèvement de sa création mais également à l'accomplissement de notre propre être et ce, non pas par des sacrifices mais par la manière dont nous sommes miséricordieux les uns vis-à-vis des autres. En effet, la miséricorde est indissociable de notre vie de foi.

C'est d'ailleurs ce que chaque frère dominicain demande avant de prononcer ses v½ux lorsqu'il se couche en croix sur le sol. A la question du provincial : « que demandes-tu ? », il répond : « la miséricorde de Dieu et la vôtre ». Non pas seulement celle de son supérieur, mais celle de tous ses frères avec qui il choisit de vivre sa vie. La miséricorde est une qualité proactive. Elle se définit par cette sensibilité que nous pouvons avoir les uns pour les autres vis-à-vis de la finitude de tout être humain. Elle se refuse de condamner et d'enfermer quelqu'un dans un acte et préfère développer une attitude de compassion et de douceur face à la souffrance ou à la blessure. La miséricorde que Dieu attend de nous est une attitude d'humilité car nous reconnaissons que tout homme, toute femme est toujours plus grand que ce qu'il fait et que nous n'aurons jamais la prétention de croire que nous savons pourquoi l'autre a agit de la sorte. La miséricorde est une manière de reconnaître, dans la tendresse, que tout être est également un mystère même si dans la foi, nous avons acquis la conviction que Dieu est plus grand que notre c½ur et il connaît toute chose. De la sorte, à l'image du Livre d'Osée, nous pourrons nous aussi connaître le Seigneur. Amen