Veillée pascale

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 2005-2006

Trois femmes près d'un tombeau, l'honneur du genre humain !

Ron, Ron, Ron, Deux mondes : ceux qui dorment et ceux qui sont debout.

Ron, Ron Pilate, avec ses petites mains bien lavées, dort à poings fermés. Hérode rêve de prophètes revenants. Caïphe ronfle un peu. Les docteurs de la Loi ont leur conscience pour eux. Les disciples font des cauchemars... Mais trois femmes sont debout pour honorer le supplicié. Elles accomplissent rituellement ces gestes d'extrême humanité que tant de femmes ont posés en fidélité à leurs morts, gestes dérisoires et impuissants mais qui disent la tendresse et la mémoire du c½ur.

Elles font ce qu'il faut, jusqu'au bout. Elles n'ont jamais déserté, elles sont suivi à chaque étape le condamné sur son chemin de croix et, ce matin très tôt, les voilà de nouveau. Elles ne craignent pas d'entrer dans le caveau. Pour cela, elles ont traversé la ville, sont sorties par la porte gardée, se sont approchées du lieu d'exécution. L'inquiétude de ces femmes est simplement de pouvoir rouler la pierre d'entrée. Tout est calme jusque là, rien ne bouge apparemment. Mais la porte est ouverte, un message les attend, une mission. C'est alors seulement que la peur les saisit. Elles tremblent soudain et s'enfuient hors d'elles-mêmes, incapables de parler. Que s'est-il passé ?

C'est incommunicable, impossible à exprimer. Le choc est trop inattendu. Elles n'ont pas de mots, pas d'images, pas de concepts, pas de références pour recevoir, situer, partager cet événement totalement nouveau qu'elles vivent brutalement.

Ouverture, absence et envoi ! La pierre roulée, pas de cadavre à honorer, un message à répéter qui renvoie vers les frontières. Pas moyen d'accomplir les gestes prévus. Le message envoie ailleurs. L'événement, en sa source, n'est pas une consolation, encore moins une solution. Il est un vide redoublé : l'absence de vie dans le corps et finalement l'absence de corps. Après la croix, un immense point d'interrogation. Mais c'est un excès de vie. Celui que l'on cherche dedans, est annoncé dehors, à l'horizon, en Galilée, au « carrefour des nations », au c½ur de la mondialisation !

Notre récit est d'une immense discrétion. « Vous cherchez le Crucifié ? Il est Ressuscité ! » « Il n'est pas ici où on l'a mis ». Il n'est pas dans le tombeau, ni dans les concepts des théologiens ni dans les livres de liturgie, ni dans le droit canon, il n'est plus où on l'a mis ! Il est vivant, en liberté ! Alors que faites vous avec moi dans la nuit ? Nous rejoignons, par la foi, trois jeunes femmes essoufflées, le c½ur battant, face à un tombeau ouvert.

La naissance de Jésus d'entre les morts est aussi paisible que celle de Bethléem. Vous aimeriez un feu d'artifice, un grand coup médiatique, un signe convaincant ? De vos adversaires vous attendez qu'ils prennent conscience et qu'au moins ils aient honte ! Mais rien, ou presque : un étonnant calme plat. Aucune revanche, aucune vengeance, pas de représailles. L'amour est vainqueur et il n'est pas rancunier !

Il y a là un respect très curieux du sommeil de Pilate, des hésitations d'Hérode, du décalage des grands prêtres et des jeux stériles des docteurs de la Loi. C'est leur affaire s'ils se prennent au sérieux ! Le pardon est offert gratuitement, en vrac et sans publicité : comprenne qui pourra ! Le reçoive qui voudra, en silencieuse contagion ! « Moi je vous dis : Aimez vos ennemis ! ». Qu'ils aient au moins le monde qu'ils ont choisi ! Leur histoire poursuit son cours, la nôtre aussi mais sur une autre voie, une croix nous a aiguillés ailleurs, radicalement. Dans la création du Père, il y a beaucoup de place et des rythmes variés. Personne n'est obligé de vivre à tombeau ouvert !

Magistrale leçon d'altérité, d'acceptation des différences et même du désaccord ! Comment Dieu pourrait-il créer, sans apprécier le différent, faire surgir du non-dieu, et une liberté qui puisse dérailler, presque inévitablement ? Avec une patience infinie et une brûlante passion, Dieu attend, des siècles, des siècles de siècles, que mûrisse le monde, que lève la vie, que s'éveille la conscience, que l'on commence à parler, à partager, à pardonner, à devenir créateurs, re-créateurs, dieux enfin, comme Lui, avec Lui et en Lui, en vérité !

Cette nuit est la première nuit d'une nouvelle création. Au lever du soleil, allez vous promener dans le jardin du monde neuf ! Regardez les arbres en pleine sève et les petits canetons du parc de Tervueren. Plus loin, sur les chemins de ceux que l'espoir a déçus, que l'amour a blessés, qu'une religion a trahis, glissez vous dans les conversations. Dans les pubs, si vous êtes invités, acceptez d'entrer. Le Ressuscité y est déjà, il vous y attend.