Comment parlons-nous des autres ? On parle des gens". On parle de « tout le monde ». « Les gens » aujourd'hui disent que... « Le monde » d'aujourd'hui est comme ça...« On » pense maintenant que... Ce sont presque toujours des expressions peu personnelles. Jésus, voyant les foules, avait pitié d'elles parce qu'elles étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans bergers. Ce n'est pas l'image que le monde me donne. Quand je suis à la gare de Bruxelles, je vois toujours des hommes et de femmes qui se dépêchent. Ils semblent connaître leur destinée, le but de leur vie. Mais si tu interroges les gens sur les questions fondamentales de vie et de mort, ils te répondent par leur non-savoir. Luther, au 16ième siècle, disait : « Les gens ne savent pas d'où ils viennent et où ils vont, cela m'étonne qu'ils sont si joyeux. Les chrétiens connaissent la source de leur vie et savent où ils vont, cela m'étonne qu'ils sont si tristes. » C'est bien là le paradoxe que nous vivons aujourd'hui. J'ai été responsable de la pastorale des vocations pendant des années. La parole : « La moisson est abondante et les ouvriers sont si peu nombreux. Priez le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour la moisson » était un grand classique. Mais j'ai l'impression que l'église dite postconciliaire, même avec sa réputation d'ouverture, a la tendance de se replier sur elle-même, et pas seulement comme on dit, dans un réflexe conservateur. Depuis le concile Vatican II, on parle beaucoup, sans doute trop, de l'église. On a multiplié les discussions, mais par forcément les paroles qui donnent vie. Certaines discussions qui ont l'église pour sujet, me semble-t-il, cachent parfois l'impuissance des chrétiens d'aujourd'hui d'entrer en contact avec le monde, en dépit de beaucoup de grandes déclarations. La parole de Jésus : « La moisson est abondante et les ouvriers sont si peu nombreux » décourage seulement lorsque nous restons concentrés sur nous-mêmes. Mais le monde me décourage moins qu'une communauté chrétienne en discussion constante ou une église parlementaire. Quand Jésus nous déclare que la moisson est abondante, il veut nous attirer au « monde », là où vivent « les gens ». Et là, les possibilités sont illimitées. En fait, la parole de Jésus : « La moisson est abondante et les ouvriers sont si peu nombreux » n'est pas une plainte découragée ni une crise de panique. C'est une parole qui nous invite à avoir une passion pour le monde. Mais pas dans un mouvement superficiel. Pour pouvoir vraiment rencontrer le monde comme chrétiens, il nous faut avoir le c½ur et l'esprit de Jésus.
Le mois de juin est traditionnellement dédié au Sacré-C½ur. On n'en parle pas beaucoup maintenant. Pourtant, le c½ur est un symbole qui parle pour tout le monde. Je me demande si le message chrétien de notre temps n'est pas devenu trop technique, trop abstraite, sorti de la table de travail des théologiens plutôt que des sentiments que le Christ a pour nous en son c½ur. Mais avoir le c½ur et l'esprit de Jésus, c'est souffrir avec les gens, avec ceux et celles qui peinent. Avoir le c½ur et l'esprit de Jésus, c'est souffrir aussi avec Jésus parce que son amour n'est pas reçu. Avoir l'esprit de Jésus, c'est souffrir parce que l'évangile est parfois si décoloré par notre médiocrité et nos idées-fixes, par toutes nos théories et nos déclarations. La parole de Jésus : « N'allez pas chez las païens et n'entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël » peut surprendre. Jésus était-il raciste ? Mais comment aller à la rencontre des autres si tu n'as rien à offrir, si toi-même tu as perdu ton âme ? Jésus était venu pour susciter dans son peuple l'Esprit de Dieu pour lequel le peuple n'était plus susceptible. Jésus avait une stratégie, bien réfléchi, dans un long contact avec le c½ur de son Père. Il a commencé par le peuple de Dieu qui doit vivre de l'Esprit de Dieu au c½ur du monde.
Jésus voyait les foules, fatiguées et abattues. C'est la souffrance de son c½ur, la vraie compassion, le vrai souci pour le bonheur des gens qui l'a envoyé en mission. Pour moi, la mission évangélique s'enracine dans une double contemplation : la contemplation de Dieu dans les hommes, et la contemplation des hommes... sans Dieu.