Voici un évangile qui tombe à pic ! Vous me direz que le jeu de mot est facile mais l'Eglise vit aujourd'hui un effondrement apparent qui nous inquiète tous. La barque de saint Pierre est secouée. Les vagues arrachent les gréements, le vent hurle et peut nous précipiter dans la mer. La barque prend l'eau de toutes parts. Va-t-elle va couler à pic comme le Titanic ?
Le temps de la chrétienté est terminé. Il subsiste en notre imaginaire comme ce temps idéal où le sol était ferme et tout bien assuré. Mais elles sont loin les années où l'Eglise était installée, puissante, avec plusieurs prêtres par clocher, des réseaux multiples d'organisations, la catéchèse pour tous les enfants et des églises bondées. On peut être fier de ce passé. L'Eglise a créé les premières universités, les hôpitaux, les écoles pour démunis, les mutuelles et les maisons d'édition. Maintenant, l'Etat prend à sa charge aussi bien l'enseignement et la culture, que la santé et la solidarité. Faut-il s'attrister que l'Etat assume enfin ses responsabilités ? Faut-il vraiment déplorer l'effacement de la religion ?
Ces changements profonds nous effraient comme une tempête qui secoue profondément. De fait, nous sommes en butte à l'indifférence ou au dénigrement, à des vagues successives de revanche, de ressentiment, d'agressivité. Notre fidélité fait rire et nos symboles sont objets de dérision dans les médias et la publicité. Les églises se convertissent en salles de concert ou en musées. Cette fois la barque de saint Pierre est prise dans la tempête, tout s'en va à veau l'eau et nous allons couler. Faut-il revenir en arrière, rentrer au port, nous mettre à l'abri dans un passé idéalisé ? Faut-il prier le Christ et le secouer ? A l'évidence, il dort. Oserons-nous le réveiller ?
Si l'Evangile nous est ainsi étonnamment contemporain, c'est qu'il est un chemin de passage. « Passons sur l'autre rive » nous dit Jésus. C'est-à-dire allons de la rive juive à la rive païenne, de Capharnaüm à Gerasa. Ce mot d'ordre est permanent. « Passons aux païens » dira saint Paul : laissons la culture juive, entrons dans la culture grecque. « Passons aux barbares » dira-t-on après : l'empire romain s'effondre, convertissons les barbares vainqueurs. « Passons à la République et laissons l'Ancien Régime », diront en France, au siècle dernier Lacordaire et Lamennais... passons à la modernité. La foi est le contraire de la crispation. La foi n'est liée ni à une culture ni à un système social. Elle correspond à un incessant départ en mission, de l'autre côté du lac et le passage est toujours risqué.
Jésus dort et son sommeil est symbole de mort. Il est couché, inerte, à plat. C'est la Pâque et la panique est là, sauve qui peut, chacun pour soi ! Mais voici qu'il s'éveille. Il se met debout, et c'est la Résurrection. « N'ayez pas peur ! » La tempête est tombée, le calme s'établit dans la lumière de Dieu. C'est le petit matin d'une nouvelle création dans un silence merveilleux.
Tout l'Evangile nous dit ce passage d'un bord à l'autre de la vie, au travers de la peur. Tout l'Evangile nous dit que malgré tout, Jésus est au milieu de nous et que c'est lui qui nous conduit. Nous ne comprenons pas tout, nous ne comprenons parfois même plus rien, mais nous pouvons nous appuyer sur lui comme s'est lui-même appuyé sur son Père, devenu notre Dieu. Ce porte-à-faux, cette confiance s'appelle la foi. Elle permet de surmonter la peur. Non pas de ne plus avoir peur du tout, car nous avons toujours peur, comme Jésus a eu peur lui aussi, mais la foi nous donne de ne pas être paralysés et de franchir, l'une après l'autre, les étapes de notre développement spirituel et humain.
L'Evangile ne nous cache pas que le monde change, que les temps changent, que la tempête fait rage, qu'il fait nuit. Mais il nous dit aussi que le Christ nous accompagne et qu'il a traversé la mer. Il a franchi les obstacles, en particulier la mort. Il a mis le pied sur l'autre rive et il nous y conduit.
Qu'on l'accepte ou non, tout ce qui est humain est appelé à mourir. Jérusalem a été détruite, le Temple aussi. Nos églises ne sont que des bâtiments, elles ne sont pas l'essentiel. Nous pouvons être peu nombreux. Peu importe. Comme le disait Jean Paul II aux chrétiens du Maroc : « on ne vous demande pas de faire nombre, on vous demande de faire signe ». Ce signe, nous le donnons. Notre religion pas est figée. Elle n'est prisonnière ni d'une langue donnée, ni de formules fixées, ni d'une esthétique passée. Notre foi est une source permanente de créativité. « Passons sur l'autre rive ! » et traversons la vie avec sérénité.
Si nous regardons l'histoire avec sérieux, nous verrons que toutes les générations ont vécu l'impression d'être les dernières. Il y a eu d'abord l'effondrement de l'empire romain et les barbares vainqueurs. Au Moyen Age, les grandes épidémies ont décimé la population. Des comètes dans le ciel ont inquiété les esprits. La révolution française a entraîné la terreur. La révolution bolchévique a terrifié les populations. Les guerres mondiales ont plongé le monde dans la nuit et la menace atomique a tourné comme un orage lourd, prêt à éclater. Aujourd'hui, même les animaux sont touchés : après la vache folle, voici la grippe aviaire ! La peur s'appelle « terrorisme », il frappe aveuglément, toujours des innocents.
Ainsi donc jamais la vie n'a été facile et il faut toujours aller de l'avant, passer sur l'autre rive sans vouloir s'installer. C'est vrai pour tout le monde mais nous, nous le savons. L'Evangile nous le dit clairement. C'est la condition normale de l'homme et celle du chrétien. Dans cette traversée nous ne sommes pas seuls et, même si les vagues sont fortes et tout semble sombrer. Même si Jésus dort, les vents et le ciel lui obéissent.
En attendant : Ramons !!!