12e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2005-2006

 

Mc 4, 35-41

Comme toujours, l'évangile du jour se révèle d'une actualité pointue, bien propre à éclairer et conforter une Eglise en crise.

Toute la journée Jésus avait parlé à la foule en paraboles. Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : " Passons sur l'autre rive". Quittant la foule, ils emmènent Jésus dans la barque, comme il était ; d'autres barques le suivaient. Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque si bien que déjà elle se remplissait d'eau. Et Jésus dormait sur le coussin.

Ses compagnons le réveillent : " Maître, nous sommes perdus ! Cela ne te fait rien ?".

Réveillé, il interpella le vent avec vivacité et dit à la mer : " Silence ! Tais-toi !". Le vent tomba et il se fit un grand calme.

Jésus leur dit : " Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n'ayez pas la foi ? ".

Saisis d'un grande crainte, ils se disaient entre eux :

" Qui est-il donc pour que même le vent et la mer lui obéissent ?".

La nuit tombe vite et c'est précisément alors ("le soir") que Jésus, fourbu après des heures d'enseignement, prend l'initiative de gagner l'autre rive du lac, c'est-à-dire d'aborder le pays païen. Il ne s'agit donc pas d'un moment de détente après une journée de travail mais d'un départ en mission vers l'extérieur. Il est donc normal que les forces du mal se déchaînent, que des résistances se lèvent avec violence.

C'est l'heure du déracinement, du passage vers l'étranger - donc l'heure de l'opposition, de la peur - donc l'heure d'une foi nouvelle.

UN PASSAGE VERS L'INCONNU

N'est-ce pas ce que nous sommes appelés à vivre aujourd'hui ? Bien des chrétiens n'ont pas encore compris que le temps de la chrétienté était terminé. Finis les siècles d'un Eglise installée, puissante, avec une pléthore de prêtres, des réseaux d'organisations confessionnelles, des églises combles, la catéchèse pour toute la jeunesse du pays. L'Eglise a joué son rôle prophétique en inventant universités, écoles pour pauvres, soins des plus malheureux, mutuelles. Par le phénomène dit de sécularisation, l'Etat moderne ne veut plus la tutelle de la religion : il entend assumer lui-même ces tâches de justice, d'enseignement, de médecine, de culture.

Devant cette évolution qui tend à marginaliser l'Eglise, certains jubilent devant ce qu'ils annoncent comme la fin de la religion.

Beaucoup de croyants, eux, se lamentent devant les effondrements auxquels l'Eglise doit consentir : le prêtre n'est plus une personnalité, des églises deviennent des salles de concert ou des musées, les pratiquants ne sont plus qu'un petit troupeau. L'Eglise elle-même est objet de dérision, ses interventions publiques sont considérées comme une intrusion indue dans le domaine socio-politique.

Dans cette tempête qui arrache toiles et gréements, des multitudes ont décidé de quitter la barque de l'Eglise où ils ne retrouvaient plus leurs assurances de jadis. Et ceux qui restent en veulent à cette société matérialiste : ils dénoncent le dévergondage des m½urs, les magouilles du monde de la finance, la corruption des milieux politiques, le manque de générosité des jeunes allergiques à l'héritage chrétien.

Comme si le monde pouvait faire autre chose que détester l'Eglise !

DÉNONCER LE MONDE OU CONVERTIR LES CROYANTS ?

En relisant les Ecritures, on remarque, à notre grand déplaisir peut-être, que les prophètes bibliques ne vitupèrent guère contre les Puissances païennes qui écrasent Israël et lui infligent des désastres. Racontant les défaites qui ont conduit à la ruine de Samarie puis de Jérusalem et à l'incendie du temple, ils en font porter la responsabilité première sur le peuple d'Israël lui-même et principalement ses dirigeants qui n'ont pas été fidèles à la Loi de Dieu.

Le manque de foi des fidèles est beaucoup plus grave que la perfidie des ennemis et la puissance de leurs armées.

De même Jésus ne tonne pas contre les exactions et les tortures de l'armée romaine d'occupation pas plus qu'il ne s'emporte contre les malfaiteurs et les prostituées. Curieusement mais tout à fait dans la ligne des prophètes, il s'en prend à ceux qu'il juge les vrais coupables : le haut clergé, imbu de ses privilèges, et qui a transformé le temple en un système bancaire très lucratif ; les théologiens qui multiplient les interdits oppressants, faisant peser un joug insupportable sur les consciences ; et les confréries de laïcs, ces fidèles pharisiens qui camouflent leur amour de l'argent sous des pratiques pieuses et cherchent à faire leur salut par leurs propres ½uvres.

Nous sommes peut-être dans une situation analogue : le Seigneur nous presse de laisser là le vieux monde pour partir vers de nouvelles rencontres. Les actions de nos prédécesseurs ont été belles, utiles, fécondes mais sans doute faut-il maintenant oser les abandonner pour nous enfoncer au c½ur des défis gigantesques d'aujourd'hui : famine, péril nucléaire, destruction de l'environnement, contagion des drogues, chômage, solitude, désespérance. Dans cette cacophonie d'horreurs, comment faire entendre la Bonne Nouvelle aux masses qui ignorent tout de l'Evangile ?

Nous cherchons des procédés pas trop dérangeants ...et voici la nuit noire et le soulèvement des forces adverses, voici non seulement les assauts des ennemis de l'Eglise mais les farouches résistances des croyants accrochés à leur ancien monde, à leurs anciennes pratiques, à leurs anciennes certitudes.

Secoués par les épreuves, risquant de chavirer, nous paniquons, affolés par les ténèbres. Nous crions au secours et le Seigneur se tait. Est-ce qu'il se désintéresse de son Eglise désemparée ? Est-ce qu'il désapprouve nos initiatives ?

Mais Jésus qui était COUCHÉ se met DEBOUT !

Lui qui était ENDORMI SE RÉVEILLE (le verbe qui désignera plus tard la résurrection !)

Lui qui NE REPONDAIT PAS PARLE.

Lui qui était appelé "Maître", enseignant, se révèle tel le SEIGNEUR, capable d'un mot d'apaiser la tempête - privilège de Dieu dans la Bible :

" Ceux qui partent en mer sur des navires ont vu les ½uvres du Seigneur...Un vent de tempête soulevait les vagues ; ils montent et descendent, ils sont malades à rendre l'âme, ils tanguent. Ils crient au Seigneur dans leur détresse et il les tire de leurs angoisses.

Il réduit la tempête au silence et les vagues se sont tues...

Qu'ils célèbrent le Seigneur pour sa fidélité...(Psaume 107)

Encore et toujours la même question se pose : QUI DONC EST-IL CE JESUS ? S'il n'est qu'un enseignant et l'évangile une théorie, nous coulerons ou nous rentrerons dans nos abris. S'il est le SEIGNEUR VIVANT, il nous faut prendre le large, répondre aux appels des multitudes. La tempête pourra bien se déchaîner et le silence de Dieu nous laisser dans la nuit. Seule la confiance totale dans le CHRIST de Pâques - couché puis debout, mort puis vivant - exorcisera nos peurs.