13e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Le rétroviseur est un instrument indispensable pour la conduite de tout véhicule. Il nous permet d'anticiper les mouvements de ceux qui nous suivent, de faire les man½uvres nécessaires. Et ce n'est pas pour rien que le code de la route exige depuis plusieurs années que tout véhicule soit équipé d'un rétroviseur intérieur et de deux extérieurs. Belle invention donc que le rétroviseur. Il nous facilite drôlement la vie lorsque nous conduisons. Si cet équipement est plus qu'utile pour tout véhicule, il semble qu'il n'en aille pas de même pour celles et ceux qui veulent inscrire leur vie en Dieu.

En effet, d'après les lectures de ce jour, Dieu ne semble pas aimer les gens qui vivent leur vie en regardant en arrière. Il nous attend dans la construction de nos vies, c'est-à-dire le regard tourné vers l'avenir, vers demain. Il nous convie à ne pas nous enfermer dans un passé à jamais dépassé.

Dans la foi, nous sommes appelés à devenir des visionnaires de la Création. Nous ne sommes pas poussés irrémédiablement par notre passé. Non, nous sommes tirés par notre avenir. La vie s'écrit en avant. C'est là qu'elle se réalise pleinement dans le projet divin. Les différentes images fortes utilisées par le Christ en disent long : " laisse les morts enterrer leurs morts " ou encore " celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le royaume de Dieu ". Ces phrases sont dures. Dieu le Fils est venu nous bousculer dans nos certitudes, dans nos paralysies, surtout celles qui affectent les autres et empêchent toute vision d'avenir. Un peu comme si Dieu n'aimait pas les " ont été ". Vous savez ceux qui ressassent le passé, qui justifient tous leurs actes d'aujourd'hui au nom de l'histoire.

Ces gens-là, comme le dirait Jacques Brel, ces gens-là, ces " ont été " conjuguent leur vie au passé composé. Ils se sont enfermés dans une marre de leur histoire alors que le fleuve continue de couler. Ils parsèment leurs phrases de " j'ai été ", " nous avons été " et ils pensent que parce qu'ils " ont été ", ils ont des droits acquis. Avec les " ont été ", aucune remise en question n'est possible puisqu'ils ne font référence qu'à leur passé, aussi glorieux ce dernier ait-il pu être. Dès qu'il peut y avoir une évolution, un regard vers l'avenir les " ont été " s'indignent, crient à l'injustice. Ils ont un grand défaut : ils accusent toujours les autres sans pour autant se rendre compte que leurs propres accusations souvent dénoncent leurs propres conduites. Les " ont été " vivent dans le passé, à ce point aveuglés dans leur présent, qu'ils sont incapables de voir et de comprendre l'avenir. Non pas qu'ils en sont exclus, plutôt ils s'en sont exclus de par leur propre attitude. En effet, les " ont été " sont souvent des entêtés. Et c'est pour toutes ces raisons-là que le Christ nous propose en méditation aujourd'hui des phrases aussi fortes de sens. Voulons-nous être des " ont été " entêtés qui n'acceptent pas de mourir à leurs projets pour en laisser naître d'autres ou désirons-nous écrire nos vies avec l'encre de Dieu c'est-à-dire tourner vers demain.

Le Christ ne nous laisse pas tellement le choix. Par définition, depuis l'instant de notre conception, nous sommes des êtres en devenir, jamais atteints, toujours en évolution. Le jour où nous nous arrêtons nous mourrons. Il est vrai qu'il est parfois plus facile de vivre sa vie au passé composé. C'est rassurant car ayant fait l'expérience, nous connaissons les tenants et aboutissants. Nous n'avons pas peur puisque nous regardons en arrière dans notre histoire. Nous vivons le déjà connu, le déjà vécu. Nous sommes emprisonnés dans notre passé. Or si le Christ, nous dit saint Paul, nous a libérés, c'est pour que nous soyons vraiment libres. En Dieu, nous avons été appelés à la liberté. Une liberté tournée vers l'avenir, par amour, au service les uns des autres. Ne nous enfermons pas dans notre passé mais intégrons-le à nos histoires respectives. Reconnaissons qu'il est dépassé à jamais mais qu'il constitue la richesse de ce que nous sommes devenus. Libérons-nous de tous ces passés composés qui jalonnent nos existences, de tous ces pardons qui n'ont pu être donnés, de toutes ces blessures qui nous ont lézardé. Libérons-nous de tout ce qui nous empêche d'advenir, quittons tous nos masques d'" ont été " pour nous tourner à jamais en Dieu vers l'avenir. C'est là que l'Esprit de Dieu nous accompagne.

Amen.