LA MISSION DES APÔTRES-ÉVÊQUES
Jésus, incompris par son village, poursuit sa mission itinérante et même il la démultiplie. Dès le début, il avait appelé 4 jeunes pêcheurs du lac pour devenir « pêcheurs d'hommes » (1,16) ; puis il avait appelé Lévi, un publicain (2,14) ; ensuite parmi tous les jeunes qui le suivaient, il en avait choisi 12 « pour être avec lui » (3,13). Comme Israël était constitué de 12 tribus, ainsi la nouvelle communauté de Jésus se formait à partir de 12 hommes auxquels il donnait des enseignements particuliers (4,34) tout en s'étonnant de leur peu de foi (4,40). Après des mois de formation, le moment est venu et Jésus leur donne ses directives de mission. Ce petit texte garde une importance fondamentale et actuelle: « les Douze » sont la seule « organisation » que Jésus a voulu (d'autres charges apparaîtront plus tard) et le concile Vatican II a redit : « Les évêques succèdent aux Apôtres...envoyés pour assurer la pérennité de l'½uvre du Christ ...Que les évêques annoncent l'Evangile du Christ : cette charge l'emporte sur les autres » (Décret sur les évêques § 1 et 12).
Jésus appelle les Douze et, pour la première fois, il les envoie deux par deux.
Tous les disciples ne sont pas chargés de faire la même chose : Jésus appelle certains pour partager et élargir sa mission itinérante. Ces hommes doivent donc d'abord se rendre plus proches de Jésus et entendre son invitation. Ils n'entreprennent pas cette ½uvre par initiative personnelle, par dévouement, ni encore moins bien sûr, pour se faire valoir. Ce sont des « envoyés » (apostello). Ce n'est pas leur personnalité ni leurs qualités qui d'abord importent mais le fait qu'ils représentent un autre : ils sont les ambassadeurs du Christ. « Deux par deux » : d'abord pour s'entraider dans le travail, chercher ensemble les solutions aux problèmes rencontrés, s'encourager dans les coups durs mais surtout pour manifester, avant tout discours, que le Royaume de Dieu consiste à faire communauté, à vivre ensemble, à collaborer, à s'aimer. Comment accorder foi à un théologien érudit et prétentieux qui « fait son numéro » solitaire ?
Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais ...
Science et culture, éloquence et héroïsme ne suffisent pas. La mission évangélique ne se heurte pas d'abord à des défauts de caractère, à la mauvaise volonté, à des idées inexactes mais à de mystérieuses et terribles puissances de mal qui désintègrent l'humanité et s'opposent au message. Seule une force reçue du Christ peut permettre à l'apôtre de mener le combat qui n'est pas à mesure d'homme (« Armez-vous de la force du Seigneur pour être en état de tenir...Ce n'est pas à l'homme que nous sommes affrontés mais aux Autorités, aux Dominateurs de ce monde de ténèbres... » (Ephésiens 6, 10). Croire qu'il suffit de gentillesse, de bonnes connaissances, de ressources financières pour provoquer la conversion à l'Evangile relève d'une immense naïveté. L'Apôtre doit sans cesse prier, demander un pouvoir qu'il n'a pas et qu'il ne peut acquérir par ses moyens. Alors il peut transmettre la Miséricorde divine qui anéantit le mal.
Et il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n'est un bâton ; de n'avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange » ».
Exigence terrible qui a dû faire trembler ces hommes ! S'en aller à l'aventure sans rien, sans moyens élémentaires de subsistance, sans savoir où loger ?... Les apôtres s'abandonnent à la Providence. Ils n'exigent pas de leur auditeurs de se dépouiller, de vendre leurs biens, de devenir des mendiants mais eux-mêmes ne peuvent accomplir leur tâche qu'en étant pauvres et dépouillés, guéris de toute cupidité. Car le Seigneur leur a appris que la passion de posséder étrangle les bonnes graines d'Evangile qui voudraient se développer et qui étouffent dans les ronces de la convoitise (4, 19).
Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l'hospitalité dans une maison, restez-y jusqu'à votre départ... ».
Le dénuement des envoyés va poser question aux gens qui les écouteront : « Qu'allez-vous manger ? Où allez-vous dormir ce soir ? ». Ebranlés par leur parole, convaincus de leur sincérité, certains les inviteront chez eux et c'est ainsi que l'Evangile va pénétrer dans les maisons. Il ne restera pas confiné dans des lieux sacrés (églises, chapelles, monastères) mais il s'immiscera au sein même de l'existence quotidienne, là où les gens vivent. Il y aura donc partage : les apôtres apporteront le bien suprême du Royaume de Dieu et leurs auditeurs leur offriront vivres et logement. Toutefois les envoyés du Christ, entrés dans un village, ne pourront pas, déçus par un premier logis, chercher une invitation près d'une table mieux garnie, d'un lit plus douillet. Qu'ils se contentent de ce qui leur a été présenté en premier sans voltiger de chef coq en mère poule ! Pas de guide « Gault et Millaut » dans leur besace !!
« Si dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage »
A la suite de leur Maître, les apôtres feront aussi l'expérience de l'échec : leur prédication provoquera parfois scepticisme, moqueries, injures. Des volets se baisseront, des portes claqueront. Ils se retrouveront le soir le ventre creux, obligés de dormir à la belle étoile. Ils partiront de là sans mauvaise humeur, sans lancer d'anathème mais leur geste d'adieu sera un signe prémonitoire menaçant : Puisque vous n'avez pas voulu le message de Vie, nous vous laissons donc dans un monde de poussière et de mort.
(Modifier un peu la traduction liturgique) Ils partirent et proclamèrent afin que les gens se convertissent. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d'huile à de nombreux malades et les guérissaient.
La fin dit l'essentiel. Les apôtres « proclament » la Bonne Nouvelle reçue de Jésus : ils s'en vont tels les « hérauts » (grec : kèrux) des cours royales de l'antiquité qui se dispersaient partout afin d'annoncer la bonne nouvelle de la naissance d'un prince ou d'une victoire militaire ou d'une visite royale. Maintenant les apôtres chrétiens proclament « un kérygme » infiniment plus merveilleux : Oui, soyez-en certains, Dieu vient régner chez vous ; un Prince, son Fils Jésus, nous est donné ; la victoire sur le péché, le désespoir, la haine, la culpabilité est obtenue. Changez de vision des choses, faites-nous confiance, nous ne mentons pas, convertissez votre existence. Ne soupçonnez pas ce message d'être un mirage pour âmes naïves, une croyance religieuse pour gens pieux, un rêve qui nous console de nos malheurs et nous aliène. Car cette Bonne Nouvelle rejoint l'humanité dans sa chair : elle apporte également santé et réconfort. L'onction d'huile n'est pas à réserver aux derniers instants du mourant. Evangéliser est une lutte permanente contre toute souffrance.
CONCLUSION
Longtemps, nous pouvions nous estimer dans un pays chrétien : il suffisait de célébrer des rites, d'enregistrer des entrées, de transmettre le catéchisme à la génération suivante, de construire des églises, d'organiser processions et pèlerinages.
La sécularisation est venue, nous avons changé de monde. L'Eglise doit revenir à l'essentiel : ce que nous dit l'évangile de ce dimanche. Ne plus croire que tout est acquis et qu'il suffit d'entretenir « une société catholique ». La Bonne Nouvelle est à proclamer comme pour la première fois et cette tâche est d'autant plus ardue qu'elle est grevée des erreurs et péchés de l'Eglise dont le monde garde souvenir.
L'action d'évangélisation (la proclamation de l'Evangile) doit reprendre la 1ère place qui était occupée par la pastorale (soin des communautés chrétiennes, catéchèse, sacrements). La mission de l'évêque est toute différente de celle du prêtre. Le régime de la foi ne tolère pas une simple gestion. Rien n'est jamais acquis. Le berger laisse les 10 brebis restantes pour rechercher les 90 autres parties ou jamais atteintes.
Jésus nous redit ce jour comment agir. Dans l'hospitalité alors que chacun s'enferme chez soi. Dans la pauvreté alors qu'on nous presse de nous enrichir sans cesse. Dans la joie partagée alors que les paillettes de la société cachent un immense désarroi.
15e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012