15e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

"Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?" C'est dans un climat lourd de méfiance et de ruse que fuse cette question du légiste. Car, il ne vient pas pour s'informer mais pour mettre Jésus dans l'embarras.

Déjouant le piège, celui-ci répond par une autre question : "Dans la loi, qu'y a-t-il d'écrit ? Que lis-tu ?". En guise de réponse le docteur de la loi met bout à bout deux textes, séparés dans la Bible, concernant l'un l'amour de Dieu et l'autre celui du prochain.

Le légiste ayant bien répondu, Jésus lui dit : " Fais ainsi et tu vivra." Le verbe aimer et le verbe vivre sont conjugés au futur. Car, pour Jésus, aimer et vivre deviennent synonymes jusque dans l'éternité !

Voulant cependant soigner son image de marque et montrer qu'il est un homme juste, le légiste pose une nouvelle question piège : "Et qui est mon prochain ?". Autrement dit peut-on appeler prochain un étranger au peuple juif ? Mais Jésus ne se laisse pas piéger par cette nouvelle question ; il l'ouvre simplement sur une histoire. Dans cette parabole, il est question de brigands, d'un prêtre, d'un lévite, d'un samaritain, d'un aubergiste. Le seul a ne pas avoir d'appartenance sociale, religieuse ou géographique, c'est l'homme laissé pour mort par les brigands. Mais il sera le seul à rester en scène tout au long de l'histoire. Cet homme descend de Jérusalem vers Jéricho. Entre ces deux villes, le dénivelé est de plus de mille mètres. Sur cette descente l'homme subit violence, dépouillement, aliénation et est laissé pour mort.

Tout se passe comme par hasard. Face au blessé qui encombre le chemin, le prêtre et le lévite vont avoir la même attitude mortelle : "passer à bonne distance". Ces deux familiers du Temple passent outre. Ces deux officiels de la religion tournent le dos à Dieu. Ils n'ont même pas l'excuse de se hâter pour le service divin immédiat ! Pour eux, les commandements, voilà ce qui compte d'abord et avant tout.. La loi c'est la loi. Elle leur interdisait de toucher un mourant sous peine d'impureté. Ainsi donc le prêtre et le lévite virent l'homme allongé sur le bord de la route, mais, avec le conscience de faire leur devoir, détournant le regard, ils changèrent de côté.

Ce sera un samaritain, un métèque détesté, un hérétique, qui va retrouver l'inspiration profonde de la loi et des prophètes. Mieux encore, la prodigalité du samaritain révèle l'excès d'ouverture de ce royaume que Jésus annonce : ouverture qui efface les différences et les antiques méfiances, qui méprise les interdits et les barrières, pour risquer l'amour !

Le samaritain, en voyage, est le seul qui, comme Dieu, a des yeux et des entrailles. Ce qu'il voit, provoque en lui un choc émotionnel, qui le fait agir très concrètement. Plein de compassion, il se fait proche du blessé et trouve les gestes de tendresse qui viennent toucher l'homme au plus profond de la douleur et de la solitude où les brigands l'ont plongé. Son action charitable est d'une efficacité remarquable.

Nous sommes ensuite saisis d'étonnement et d'admiration, devant l'effacement total du samartitain qui n'utilise pas son action généreuse pour accaparer l'autre ou en faire son obligé. Il n'attend même pas de merci. Il sort de la parabole, en gardant le souci du blessé, mais sans lui imposer sa présence, puisqu'il le confie à l'aubergiste. Cette extrême discrétion laisse l'autre libre, car l'amour véritable libère, fait grandir. L'amour vrai accomplit celui qui aime, en même temps qu'il respecte l'autonomie de l'être aimé.

Prodigieux renversement dans la question posé par Jésus au légiste : "lequel des trois est devenu le prochain de l'homme blessé ?". Le prochain n'est plus l'objet mais le sujet de l'amour. L'acte de bonté ne renvoie pas à une émotion passagère, mais à une compassion agissante, qui pousse l'homme "à ne pas se dérober devant celui qui est sa propre chair" selon l'expression même du prophète Isaïe. Si autrefois un homme gisait là, blessé, à moitié mort, sur le bord de la route, aujourd'hui, il n'est plus seul. Dans notre monde actuel, tant d'hommes et de femmes sont aussi sur le bord du chemin, blessés et rejetés par notre société : victimes innocentes de la loi du plus fort, de la guerre, de l'argent ; immigrés qu'on rejette d'une frontière à l'autre, d'un taudis à un autre ; familles déchirées, jeunes mères en détresse, personnes âgées reléguées dans l'oubli. Mais il y a aussi ces petits, ces faibles et ces pécheurs, qu'une parole dite d'autorité par l'Eglise ou qu'un simple regard venu d'un bien-pensant, repoussent et excluent. Tant de laissés pour compte sur le bord de nos routes !

"Va, et toi aussi, fais de même". dit Jésus. Il ne s'agit pas d'un amour universel qui nous ferait aimer tout homme. Cela relèverait de l'utopie et du rêve. Ce récit, au contraire, nous appelle aujourd'hui à aimer très concrètement, à nous faire proches de ceux que les imprévus de l'existence mettent sur notre chemin.

"Va et fais de même". Nous sommes donc invités à imiter le samaritain, pour qui tout homme, toute femme, tout enfant qui souffre, a droit à notre compassion humaine. La préoccupation de l'homme passe avant toute catégorie de pureté, de péché, avant toute appartenance à un milieu social, religeux ou culturel, sans considération aucune de mérites ou de préséance.

"Va et fais de mëme". nous dit Jésus. Comme le Samaritain qui continue son voyage, n'exige rien de celui que tu as aidé ou remis debout, aucune reconnaissance, aucun merci. Trop souvent dans la charité dite chrétienne, nous demandons que ceux que nous asistons nous soient reconnaissants, nous exigeons souvent qu'ils utilisent, selon nos critères ou nos souhaits, les avantages que notre aide leur a procurés. Selon l'esprit de l'évangile, notre dévouement et notre amour pour celui dont nous nous sommes volontairement approché, devra toujours le laisser libre et autonome. Ainsi donc comme le samaritain, acceptons de le confier à l'aubergiste, de passer le relais à d'autres, sans maintenir aucun lien de dépendance ou exiger quelque reconnaissance. La charité n'est pas seulement une affaire personnelle, individuelle, elle s'insère dans une collectivité et plus spécialement dans une communauté chrétienne.

C'est dans ce sens que Jésus dit encore à chacune et chacun d'entre nous : "Va, et toi aussi, fais de même."