Lorsque j'étudiais en Angleterre, mon professeur de Nouveau Testament ?m'a fait découvrir un outil très classique de gestion du temps, que l'on appelle pompeusement la matrice d'Eisenhower. ?Alors je vous pose la question, connaissez-vous la matrice d'Eisenhower?
Comme vous êtes trop timides pour lever le doigt et comme je suppose qu'il y a dans cette assemblée au moins une personne qui ne connaît pas la réponse, je vous la donne. Ce sera l'occasion pour les autres de rafraîchir leur mémoire !??La matrice d'Eisenhower est un outil de classification des priorités qui permet de classer les tâches à effectuer en fonction de deux paramètres : leur urgence et leur importance. Imaginez donc un tableau à quatre cases, pour quatre catégories de priorités :
les activités importantes et urgentes, c.à.d. les tâches à exécuter immédiatement
les activités importantes mais peu urgentes,
les activités urgentes mais peu importantes
les activités inutiles, les tâches à mettre de côté.
Voilà la théorie. Nous pouvons maintenant passer aux exercices pratiques. Je vous laisse quelques instants pour imaginer dans votre vie quelles sont les urgences, quelles sont tâches importantes... quelles sont les fois ou l'urgence efface l'importance, toutes les fois où l'inutile occulte l'importance...
Et dans la page d'Evangile que nous venons d'entendre, nous sommes confrontés à des conflits de priorités et d'une certaine manière un conflit entre l'importance et l'urgence, l'importance du repos, l'urgence de la mission. En effet, Jésus invite d'abord ses apôtres à prendre du repos, voilà une tâche ô combien importante en ces temps de vacances, mais, ému aux entrailles, il est dépassé par l'urgence de la mission et l'attente de la foule qui le presse !??Alors reprenons le texte dans l'ordre. Jésus nous invite d'abord à nous reposer... ? «Venez à l'écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu» dit-il à ses disciples. Il est bon, parfois, de se rappeler cette évidence, celle de la nécessité du repos, du lâcher prise, du shabbat, du recul. Dans nos relations humaines, familiales, au travail, il est souvent nécessaire de s'effacer pour ne pas être toxique, d'accepter de ne pas toujours prendre les choses en main. Et dans notre monde omnubilé par la productivité, cet évangile nous rappelle la nécessité de l'écart, de la distance. Nous sommes invités à garder nos lieux de désert, nos territoires d'intimité qui nous constituent, où le profit n'existe pas. Redécouvrir tous ces lieux qui nous aident à redonner du goût au temps, ?à quitter le «faire» pour redécouvrir «l'être».
Voilà l'importance dans notre vie : apprivoiser la distance et, peut-être même pour certains, se déculpabiliser de prendre du recul... Car tout temps de repos et de récréation est un temps de re-création, un temps d'innovation, un moment conversion, qui fait de nous des «hommes nouveaux» selon l'expression de S. Paul
Cependant, l'importance qui consiste à donner du temps au temps ne peut occulter la réalité de l'urgence de notre monde, et tous ces enjeux qui ne peuvent attendre. Le temps manque pour tout si on ne le donne pas : pour la mission, pour le repos, pour l'enseignement, pour le repas, pour l'amitié... ??Bien sur, nous avons nos obligations professionelles et familiales, mais nous sommes conviés à redécouvrir la valeur du temps ! D'ailleurs Jésus, saisi de pitié, ému aux entrailles, ne se presse pas mais « se mit à les instruire longuement sur beaucoup de choses» nous dit le texte. Confronté à l'urgence, il prend paradoxalement son temps. ? Alors, dans un monde qui perd son temps à vouloir le gagner, voilà ce que nous pouvons apporter : donner une vraie valeur au temps, donner un goût d'éternité à chaque seconde qui passe.
Car c'est en partageant notre temps, qu'il deviendra précieux. ?C'est en le perdant avec ceux que nous aimons que nous le gagnerons
C'est en le donnant pour les autres que nous découvrirons sa vraie valeur ! ?
Voici donc notre programme en cette saison que l'on appelle l'été: ?redécouvrir quelles sont nos vraies priorités...?et peut-être enfin découvrir que l'essentiel ?se cache parfois dans ce qui semble superflu, ?dans ce qui nous paraît à première vue inutile, stérile et sans projet.
En effet, toutes les théories de management, toutes les matrices d'Eisenhower et autres vous demanderont de mettre de côté la quatrième case, celle de l'inutilité... Or, l'essentiel se niche parfois dans ce qui semble à première vue superflu. C'est souvent dans le superflu que se dévoile la vraie la gratuité et le don, cette inutilité qui n'est pas futilité, ?mais qui est plaisir de l'amitié et de la rencontre.
C'est cela qui fait que l'amitié conjuge importance et urgence car elle ?consiste, comme le dit Timothy Radcliffe, ?à prendre le temps (voilà l'urgence)... de perdre son temps (voilà l'importance), mais ensemble.
Voilà ce à quoi nous sommes invités en ces temps de repos !?Allez, j'arrête ici, j'ai assez pris de votre temps ! Bonnes vacances et bon repos !
16e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Croonenberghs Didier
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012