Nous sommes nombreux à nous lasser de ces images de bergers qui nous rendent méfiants. Faut-il intégrer un troupeau, se conformer aux réflexes du groupe, de manière grégaire et soumise ? Quelles sont donc les intentions de ceux qui utilisent aujourd'hui un tel vocabulaire ? Qui peut se prétendre berger des autres ? Au nom de quelle supériorité ? Faudrait-il revenir aux royautés de droit divin, comme il en existe encore en certains endroits de la planète, au Maroc par exemple ? L'esprit critique est maintenant tellement répandu qu'il n'est plus possible de parler naïvement de bergers et de troupeaux. Il y a un problème dans l'exercice de l'autorité et cela à tous les niveaux.
Car, de fait, cela va mal. Il y a des exceptions certes, des personnages exceptionnels capables et dévoués. L'élection d'Obama vient de faire renaître l'espoir chez les désabusés, mais pour combien de temps ? Car, dans l'énorme majorité des cas nous avons raison de nous plaindre, comme le prophète Jérémie, comme Jésus, comme le tout venant : nos politiques manquent d'idées, de souffle, de générosité, ils manquent de sincérité. Ce sont des mercenaires plus que des gens dévoués. Ils cumulent les fonctions et profitent de tout. Or ce qui est vrai pour la politique est vrai aussi pour l'économie, avec leurs « parachutes dorés » les soit disant « responsables » ont un réflexe commun : « courage, fuyons » ! Ils ne se contentent pas de fuir, ils préparent leur fuite avec préméditation... Alors je me pose une question : après le politique et l'économique, le religieux serait-il différent ?
Comme religieux et ancien responsable moi-même, je suis tenté de dire que oui, par solidarité de classe, probablement. Pour être supérieur, nul n'est davantage payé, mais les nuits sont courtes et les soucis nombreux. Les projets sont immenses, aux dimensions de l'Evangile, et les ressources limitées. Il faut être un peu fou pour accepter certaines charges aujourd'hui, ou bien très vaniteux... Dans l'Eglise que nous connaissons, ce sont en général de braves gens, pas toujours très malins car ils sont choisis en fonction d'un profil bien défini. L'esprit « troupeau » et « conformiste » se trouve paradoxalement davantage du côté des bergers que du côté de la base des chrétiens. Ils ont « bon esprit », c'est gentil mais en temps de crise, cela ne suffit pas, il faudrait de vrais prophètes, des innovateurs, des bergers qui ne marchent pas derrière, mais devant. Et surtout, s'ils marchent derrière, qu'ils ne regardent pas en arrière par-dessus le marché ! Qu'ils soient libres dans leur tête, dans leur c½ur, qu'ils disent ce qu'ils pensent, c'est-à-dire qu'ils osent penser et qu'ils parlent autrement que de manière ventriloque pour répéter une langue de bois officielle que tout le monde a déjà entendu. Mais la critique est aisée, l'art plus difficile...
Alors que faire ? Opter pour l'anarchie, comme ces groupes évangélistes qui pullulent ? Surtout pas. Nous sommes incarnés et de même que nous ne pouvons échapper à notre corps, socialement nous avons besoin d'institutions.
La question est bien sûr celle du pouvoir et du service du bien commun. Il ne suffit pas de changer les tenants du pouvoir, il ne suffit pas de faire des révolutions et de mettre les opprimés à la place des oppresseurs, il faut changer la nature du pouvoir. Mais la question, quand il s'agit des choses de Dieu (et tout, finalement, de près ou de loin, se rattache à Dieu), la question est de savoir pourquoi il ne prend pas tout en main, pourquoi il a délégué.
A-t-il délégué dans le passé ? Va-t-il tout reprendre en main comme le souhaite Jérémie ? Faut-il situer son espérance dans cette dynamique là, celle de la théocratie, à la manière médiévale, à la manière marocaine ? Faut-il continuer à se plaindre de la sécularisation et entretenir la nostalgie d'un pouvoir clérical ? Ou, à l'inverse, s'agit-il de découvrir qu'il est dans la nature même de Dieu, dans son essence même de créateur, de s'effacer et de déléguer de plus en plus. Découvrir que l'½uvre de Dieu, c'est aussi de susciter chez nous une responsabilité authentique, qui n'est nullement un jeu et qui doit s'exercer de manière intelligente, compétente, et avec générosité... Nous devenons de plus en plus responsables de la planète et de la survie même de l'humanité, cela les générations antérieures ne le vivaient pas aussi intensément.
Cette question ici, déborde le plan de la simple difficulté de notre organisation, elle est une question théologique : comment Dieu exerce-t-il ses responsabilités ? Comment nous associe-t-il à sa mission, à ses projets, à ses ambitions pour l'humanité ? Comment nous associe-t-il à sa vie, finalement, faisant de nous véritablement des partenaires, des vis-à-vis, plus que des serviteurs ? N'est-ce pas là le programme politique de Dieu, que Jésus reconnaît très clairement quand il nous dit : « Je vous appelle amis » ?... Ce programme a un coût, celui de nos errances, de nos erreurs, celui de notre liberté.
Ce coût, il est le premier à en payer le prix, avec les plus faibles, les enfants et les vieux. Pourquoi donc le peuple se retrouve-t-il sans bergers ? On ne manque jamais de candidats pour diriger ! Pilate, Hérode, Caïphe étaient certainement très occupés. Jésus, en pleine conscience de cause choisira Pierre qui a renié mais aussi Paul qui a persécuté. Peut-être les bergers doivent-ils savoir d'où ils viennent et témoigner du pardon qui les a renouvelés ?
Pourquoi notre Dieu n'exerce-t-il pas directement sa responsabilité ? Pourquoi Pourquoi Jésus refuse-t-il d'être roi ? Pourquoi veut-il tellement déléguer ? Parce qu'il nous aime finalement... Alors, à notre tour, allons-nous aussi accepter de déléguer, de partager les responsabilités, d'éveiller les libertés ? Avec l'âge, de toute façon, il le faudra bien, mais vivons le positivement : c'est le processus même de la vie et de l'amour qui se communique et se transmet à travers les différentes générations.