16e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

A    T A B L E   !

Déconcertant Jésus : il vient de nous exhorter à être un bon Samaritain, à nous dévouer sans compter au service de tout blessé rencontré sur notre chemin et voilà qu'aujourd'hui il calme les ardeurs de l'hôtesse qui s'empressait de bien le recevoir avec ses apôtres. L'histoire de Marthe et Marie est bien connue et on a fait de ces deux femmes les modèles de deux vocations : la vie active et la vie contemplative. L'apostolat et la prière. Le dévouement bruyant et l'oraison silencieuse. Et on a donné le primat à cette dernière. Est-ce cela que le texte veut dire ?

Alors qu'il était en route avec ses disciples, Jésus entra dans un village. Une femme appelée Marthe le reçut dans sa maison.

Jésus n'est pas en vacances, il n'est pas en train de se promener. Son Père du ciel lui a donné une mission capitale et il entraîne ses disciples de Galilée à Jérusalem où, il le sait, il sera refusé et mis à mort (9, 22.51). Quelque part il parvient à un village anonyme où une femme bienveillante s'offre à accueillir le groupe dans « sa » maison : or on va ajouter qu'elle a une s½ur. Marthe est sans doute l'aînée, c'est elle qui « tient la baraque », qui prend des initiatives. Depuis toujours, Jésus marche dans la pauvreté, « il est le Fils de l'homme qui n'a pas où poser la tête » (9, 58) ; avec ses disciples, il va « sans bâton, ni pain, ni argent » (9, 3), suspendu à la bonne volonté des gens qui les accueillent ou non. Il arrive sans doute qu'ils n'aient rien à se mettre sous la dent et soient obligés de dormir, le ventre creux, à la belle étoile.
Aussi quelle aubaine que cette invitation de la généreuse Marthe ! Celle-ci se met immédiatement à la man½uvre, concocte un menu **** car elle tient à recevoir ses hôtes avec générosité, en mettant les petits plats dans les grands. Bientôt, de la cuisine, flottent d'agréables arômes qui laissent présager un succulent repas : déjà les apôtres se lèchent les babines.

Marthe avait une s½ur nommée Marie qui, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.

Marie, la cadette, ne semble pas pressée de donner un coup de main à sa soeur : serait-elle une fainéante ? Mais on ne dit pas qu'elle ne fait rien. Au contraire elle est occupée à la chose la plus importante qui soit : s'asseoir, dans la position d'un disciple attentif, et écouter avidement tout ce que Jésus peut dire.

Marthe était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : «  Seigneur, cela ne te fait rien ? Ma s½ur me laisse seule à faire le service. Dis-lui donc de m'aider ». Le Seigneur lui répondit : «  Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part : elle ne lui sera pas enlevée »

Au lieu de secouer sa s½ur, l'aînée fait appel à Jésus et lui demande d'intervenir : il devrait être choqué par l'indolence de Marie et la presser de rejoindre sa s½ur dans la cuisine. N'a-t-il pas récemment  appelé le docteur de la Loi à se faire le prochain du blessé sur la route ? Marie ne serait donc pas « une bonne Samaritaine » ?
Jésus fait une réponse étonnante. D'abord il reproche à Marthe de faire trop de chichis, de vouloir préparer trop de plats, de « s'inquiéter et de s'agiter » à ce point. Plus tard il mettra ses disciples en garde contre ce surplus d'inquiétude :
« Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez...Tout cela les païens le cherchent sans répit, mais votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt le Royaume et cela vous sera donné par surcroît » (12, 22-32).

L'hospitalité la plus généreuse n'exige pas de ces excès: Jésus et les siens peuvent se contenter d'un repas plus simple.
Mais, plus profondément,  « la seule » chose qui est « nécessaire » et qui constitue « la meilleure part » est de prendre le temps d'écouter le Seigneur. Car s'il faut entretenir les besoins du corps et reprendre « des moyens de vivre », il est bien plus essentiel de trouver des « raisons de vivre ».
Marie, elle, a compris que, lorsque le Seigneur passait, l'important était de se mettre à son écoute, de prendre le temps - beaucoup de temps- pour « se nourrir » de sa Parole qui donne la Vie.
Ainsi lorsque l'autre Marie, la mère de Jésus, était survenue avec les parents pour rencontrer Jésus qui était en train d'enseigner la foule, il avait fait répondre - sans même se déplacer - : «  Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique » (8, 21). Et le jour où, transportée par la prédication de Jésus, une femme lui lancera : «  Heureuse celle qui t'a porté et allaité », à nouveau il rétorquera : «  Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui l'observent » (11, 28).

CONCLUSIONS

Cette scène ne fonde donc pas deux genres de vie religieuse, comme s'il fallait opposer activité et prière. Les deux sont nécessaires et s'entrecroisent.
Marthe, bien intentionnée, en faisait trop : son empressement n'était-il pas entaché du désir de se montrer la meilleure, la plus douée ? « Je vais vous montrer de quoi je suis capable ». Aujourd'hui n'y a-t-il pas une surenchère de « bouffe » ? La télévision n'en finit pas de parler de cuisine. L'embonpoint des uns nargue la famine des autres. Retour à la simplicité svp !
Quant à Marie, elle aurait sans doute dû donner un coup de main  mais elle avait pressenti qu'avant de nourrir Jésus, il fallait au préalable et avant tout s'alimenter à sa Parole. L'écoute, après avoir été le premier principe de la foi dans l'Ancienne Alliance où la prière oblige à dire deux fois par jour : « Ecoute, Israël... », est tout autant, sinon davantage, l'appel n° 1 de l'Evangile.
La première scène de Jésus sortant de l'enfance est celle de son recouvrement : ses parents, éperdus, le retrouvent « dans le temple, assis au milieu des maîtres, à les écouter et les interroger ». (2, 46)
Et lorsque les nouveaux baptisés affluèrent dans la première Eglise de Jérusalem, les Apôtres, submergés de travail, décidèrent de nommer des diacres pour veiller au service des tables et à la juste répartition de nourriture pour les pauvres ; « Quant à nous, dit Pierre avec les apôtres, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole » (Ac 6, 4). Annoncer la Parole libératrice reste toujours prioritaire.

Aujourd'hui nous dirons notre reconnaissance à toutes les mamans, les maîtresses de maison, le personnel des restaurants qui se donnent tant de  peine pour préparer, chaque jour, les repas pour les convives (qui ne les en remercient pas assez). Respectons Marthe. Sainte Thérèse d'Avila disait à ses carmélites tentées d'aller somnoler devant le S. Sacrement : «  Dieu est dans nos casseroles, mes s½urs !! »
Nous réfléchirons à l'urgence de constituer de petits groupes où les chrétiens s'invitent les uns chez les autres non pour des rivalités gastronomiques mais pour partager, dans la frugalité, « la nourriture » de l'Evangile. C'est en recevant par elle lumière et force qu'ils pourront s'employer à la réforme de l'Eglise.  (Lire le petit livre du père jésuite J. Moingt: « Faire bouger l'Eglise catholique »*** - D.D.Br.).
Nous nous déciderons à « nous asseoir », à réduire le temps et la fatigue des soucis superflus pour nous consacrer à « l'unique nécessaire » : « dévorer l'Evangile ».
Dire avec le petit Samuel : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ».
Dire avec Marie de Nazareth : «  Je suis la servante du Seigneur : qu'il m'arrive selon sa Parole ».