LE TRÉSOR DE LA PRIÈRE : LE NOTRE PÈRE
La foi n'est pas héritage, certificat de bonne vie et m½urs, pratiques liturgiques, récitation de formules dogmatiques, philanthropie : elle est d'abord essentiellement relation de personne à personne, donc dialogue de confiance. D'abord le disciple se met à l'écoute de Jésus reconnu comme le Seigneur vivant dont il est aimé : c'était l'attitude de Marie (dimanche passé). Puis, en retour, le disciple répond c.à.d. il prie. La foi devient ainsi conversation.
Mais que dire à Dieu ? Le Seigneur lui-même nous l'a enseigné : aujourd'hui retrouvons l'émerveillement devant ce NOTRE PERE trop souvent marmonné en hâte ou chanté par habitude alors que c'est un chef-d'½uvre. Inusable ! Ce jour nous entendons la version de Luc (cf. celle de Matthieu 6, 9)
Un jour, quelque part, Jésus était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur apprends-nous à prier comme Jean-Baptiste l'a appris à ses disciples »
Luc insiste : toujours, tout au long de son chemin, Jésus s'écartait pour aller prier tout seul puis « quand il avait fini », il retrouvait les siens pour poursuivre la route. C'est donc que la prière est une action précise, avec un début et une fin ; on ne dit nulle part : « Ma prière, c'est mon travail ».
Mais comment faire ? Que dire ? La première prière est de demander à apprendre, comme un apprenti devant le Maître car c'est « un disciple » qui interroge, c.à.d. quelqu'un qui s'applique à suivre Jésus, à vivre selon son Evangile. On ne reçoit pas le PATER comme une curiosité, une formule telle qu'on en trouve partout dans les livres de spiritualité et de « nouvel âge ». C'est en voulant être un vrai disciple de Jésus que l'on peut dire en vérité sa prière. Vice-versa le NOTRE PERE soutiendra et guidera le disciple sur son chemin. Il y a une concaténation, un engrenage « prière et vie ». Le NOTRE PERE est la prière distinctive de la communauté chrétienne. Sommes-nous suffisamment fiers d'avoir reçu cette perle ?
Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : ......... ».
La prière n'est ni silence, ni vide dans la tête ni radotage pieux : elle est parole brève et forte. « Dites » : car l'amour se dit, se proclame ou se chuchote ; c'est en parlant, en s'exprimant qu'il grandit en vérité. Et plus cet amour grandit, plus les paroles du NOTRE PERE seront chargées et pleines de sens.
1) UNE INVOCATION : « PERE... ».
La politesse initiale d'une conversation demande de s'adresser à l'autre par son nom. On ne prie pas en jetant d'emblée des demandes, en disant : « Mon Dieu, mon Créateur... » mais « PERE ». A l'époque, c'est une révolution. Des prophètes avaient parlé de YHWH comme du Dieu unique, et même comme « le père » d'Israël (Is 63, 16 ; Jér 3, 19) mais il semble bien que Jésus soit le premier qui s'adresse à Dieu comme son « abba » et qui autorise ses disciples à utiliser ce diminutif affectueux. En parlant à Dieu Père, le disciple se découvre donc FILS : sa prière ne sera donc pas appel à une divinité lointaine mais expression d'un enfant convaincu qu'il est divinement regardé, écouté, aimé, et qu'il ne sera jamais rejeté.
Par sa prière, Jésus nous révèle qui est véritablement Dieu et qui nous sommes. Prier comme Jésus, c'est découvrir sa propre identité, ce que le baptême a fait de nous.
Paul ne cessera d'éveiller les chrétiens à cette stupéfiante révélation : « Dieu a envoyé dans nos c½urs l'esprit de son Fils qui crie : « Abba - Père ». Tu n'es donc plus esclave mais fils ; et comme fils tu es aussi héritier. C'est là l'½uvre de Dieu » (Gal 4, 6). Jean écrira de même : « Voyez quel grand amour le Père nous a donné : que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! » (1 Jn 3, 1).
2) DEUX V¼UX
Comme Jésus, le chrétien, enfant de Dieu, ne se précipite pas en lançant une kyrielle de demandes à son bénéfice: Dieu n'est pas Touring-secours pour vies cabossées ni car glass pour mieux voir ni jackpot pour gens chanceux. Respectueux, le croyant se préoccupe d'abord des affaires de son Père, de son dessein de salut pour l'humanité.
QUE TON NOM SOIT SANCTIFIE.
Le Nom n'est pas une simple étiquette, il désigne l'Etre même de Dieu et la forme passive du verbe suggère qu'il s'agit de l'action de Dieu même. Donc il faut comprendre : Sanctifie ton Nom, fais que ton Nom ne soit pas nié, bafoué, blasphémé, qu'il soit « saint » c.à.d. reconnu et adoré dans sa transcendance. Le priant dit : tout le malheur des hommes est qu'ils ignorent Dieu, qu'ils se trompent à son sujet et qu'ils adorent des idoles. C'est dire que la foi au vrai Dieu n'est pas une cerise sur le gâteau, un penchant facultatif pour les hommes qui, manquant de courage pour assumer leur solitude, ont besoin de consolation.
La vraie foi est d'un enjeu capital. Jésus a donné sa vie pour l'Honneur de son Père trois fois Saint.
QUE TON REGNE VIENNE
Dieu nous a faits libres et nous pouvons édifier le monde à notre guise, en nous laissant dominer par nos égoïsmes et nos violences. Et chaque fois, c'est la catastrophe. Faire un monde sans Dieu, c'est le faire contre l'homme. Le règne des idoles est mortifère. Mais Dieu a un projet de salut des hommes : il leur a révélé sa Loi (le décalogue) et maintenant il a envoyé son Fils Jésus afin d'inaugurer son Règne sur terre. « Convertissez-vous : Dieu vient régner ». L'Evangile est la Bonne Nouvelle : l'horreur n'est pas irrémédiable et l'Amour triomphera. Meurtri par les souffrances des hommes, le priant supplie Dieu d'agir en Père, de manifester sa tendresse, de nous sauver, nous, hommes si aveugles et si faibles.
3) TROIS DEMANDES POUR LES TROIS DIMENSIONS DE LA VIE
POUR AUJOURD'HUI --- DONNE-NOUS LE PAIN DONT NOUS AVONS BESOIN CHAQUE JOUR. La prière assume notre condition corporelle ; le croyant sait qu'il a qu'il a besoin de se nourrir et mission de cultiver la terre, mais il n'oublie pas que tout est don de Dieu. Il mange dans la main de son Père. Plus profondément, conscient de son aveuglement, il supplie pour que son Père lui donne chaque jour la Parole, le Conseil, la Lumière qui lui permettront d'éviter les dérives et les ornières.
POUR HIER --- PARDONNE-NOUS NOS PECHES CAR NOUS-MÊMES NOUS PARDONNONS A CEUX QUI ONT DES TORTS ENVERS NOUS. Le priant, éclairé par la foi, ne s'estime pas parfait. Il sait qu'il a fait du mal, qu'il n'a en tout cas pas fait tout le bien qu'il aurait pu faire et qu'il doit, chaque jour, demander pardon. Il ne doute pas du pardon de son Père mais celui-ci lui pose une exigence: offrir le pardon à ceux qui l'ont blessé. C'est la seule condition imposée par la prière : elle peut être très dure mais elle est nécessaire tant l'amour de Dieu se croise avec l'amour du prochain au point de n'en faire qu'un.
POUR DEMAIN --- ET NE NOUS SOUMETS PAS A LA TENTATION. Attention : Dieu ne nous conduit pas au bord du précipice pour nous perdre. Mais nous serons toujours la cible de maintes tentations (Même Jésus a été tenté) : elles sont le signe que Dieu ne nous manipule pas et que nous sommes libres d'opter pour lui ou de le refuser. Le disciple demande la force de lutter sans relâche contre ces suggestions, ces désirs qui l'entraînent loin du Père : « Aide-moi à ne pas me soumettre à ces tentations qui feraient mon malheur et relève-moi quand je chute ».
La place manque pour commenter la suite de la catéchèse de Jésus sur la prière. Résumons :
La parabole des trois amis nous apprend qu'il faut oser importuner Dieu avec ténacité jusqu'à ce qu'il cède. Son silence nous étonne, nous fait mal, nous scandalise. Mais « demandez : vous obtiendrez ». Notre défaut, ce ne sont pas les distractions mais notre manque de persévérance : nos demandes sont trop brèves. --- Et l'image du père avec son enfant nous révèle pourquoi nous ne sommes pas toujours exaucés : parce que nous demandons des choses qui ne nous conviennent pas (alors même qu'elles nous paraissent nécessaires, indispensables). « Le Père donnera l'Esprit » : voilà l'objet ultime de la prière chrétienne, la Force de vivre comme Jésus, en enfant du Père, heureux de remplir sa mission. Cette demande est toujours exaucée. Elle seule suffit.