17e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2008-2009
Aujourd'hui l'Eglise "change de disque". Alors que nous étions arrivés au moment où Jésus va distribuer le pain à la foule, nous quittons  Marc pour lire ce même épisode dans Jean qui lui accorde une importance capitale: pas moins de 71 versets, l'entièreté du chapitre 6 ! Il faudra 5 dimanches pour en venir à bout. Seule la synthèse finale permettra d'en percevoir l'extraordinaire richesse. Jésus était passé de l'autre côté du lac de Tibériade (appelé aussi mer de Galilée). Une grande foule le suivait parce qu'elle avait vu les signes qu'il accomplissait en guérissant les malades. Jésus gagna la montagne et là, il s'assit avec ses disciples. C'était un peu avant la Pâque qui est la grande fête des Juifs.Jésus, premier nommé, guidera toute la séquence. Il entraîne ses disciples et la foule "de l'autre côté". L'endroit n'est pas précisé, ne le cherchons pas sur la carte. Il s'agit bien d'effectuer "un passage", de sortir de nos conceptions pour accéder à un nouveau monde. D'ailleurs on approche de la Pâque, la grande fête de printemps où l'on mange l'agneau rôti avec des pains azymes, en souvenir de l'EXODE, la sortie d'Egypte des ancêtres hébreux. Les allusions à cet événement fondateur seront nombreuses dans le texte. Donc le lieu et le temps concordent pour préciser l'enjeu fondamental: Quel est le nouvel "EXODE" à faire ? Comment les gens, qui ne sont avides que de guérisons spectaculaires, vont-ils "passer" à une nouvelle vision de Jésus et donc de l'existence ?.....Il monte sur une montagne (laquelle ?) avec ses disciples. Jadis Moïse et les anciens, après le passage de la mer, avaient gravi la montagne du Sinaï pour y recevoir la charte de l'Alliance. La mise en scène similaire fait donc penser à une Alliance nouvelle.Jésus leva les yeux et vit qu'une foule nombreuse venait à lui; il dit à Philippe: " Où pourrions-nous acheter du pain pour qu'ils aient à manger ?" ( Il disait cela pour le mettre à l'épreuve car lui-même savait bien ce qu'il allait faire). Philippe répond: " Le salaire de 200 journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain". Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit: " Il y a là un jeune garçon qui a 5 pains d'orge et 2 poissons... mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ?"Nouvelles initiatives de Jésus: il décide de nourrir la foule ...qui n'a rien demandé ! Pourquoi ?   Parce que nous ne pouvons imaginer le don que Jésus va nous faire et qui va bien "au-delà "de tous nos rêves et de nos attentes. Ensuite il éprouve ses disciples  en les faisant buter sur leurs limites humaines. Philippe pense tout de suite à la grosse somme d'argent qui serait nécessaire  pour acheter assez de pain; et André ajoute : « A quoi bon  les petites provisions de ce jeune garçon ? »  L'impasse est totale. Mais jadis les ancêtres, libérés de l'esclavage, souffraient de la faim dans l'immense désert ! Or Dieu avait pris soin d'eux et ils avaient survécu grâce au "don de la manne". Eh bien maintenant Jésus va pouvoir, sans argent,  "donner du pain" parce que ce petit garçon a osé donner ses provisions. Il n'est pas enfermé dans la question financière et, à partir du peu, il fait éclater nos calculs dérisoires. Jésus dit: " Faites-les asseoir". Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit.En effet, après les pluies d'hiver et au temps de la pâque, les pâturages reverdissent. Du coup Jésus va pouvoir se révéler comme le Seigneur, Bon Berger du psaume: il peut faire "reposer  son peuple sur des prés d'herbe fraîche" et celui-ci pourra dire: " Je ne crains aucun mal...tu prépares pour moi une table...Bonheur et fidélité me poursuivent " ( Psaume 23).INTERPRETATION EUCHARISTIQUEIls s'assirent donc, au nombre d'environ 5000 hommes. Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, les leur donna et de même avec les poissons, autant qu'ils en voulaient.       Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples: " Ramassez les morceaux qui restent pour que rien ne soit perdu". Ils les ramassèrent et remplirent 12 couffins avec les morceaux qui restaient des 5 pains d'orge ...Après les références au passé de l'Exode, Jean raconte le geste de Jésus avec le vocabulaire liturgique: on reconnaît les verbes de l'institution eucharistique tels que les chrétiens les entendent lors de leurs célébrations: prendre, rendre grâce, donner. Donc Jean ne se veut pas un historien décidé à raconter les faits dans leurs moindres détails afin de convaincre ses lecteurs de l'authenticité de l'événement. Bien plutôt il transpose l'événement passé dans le présent des croyants. Il semble dire: " Ne perdez pas votre temps dans des enquêtes interminables sur un "ancien miracle": comprenez que le geste de Jésus était un "signe" de ce qu'il veut réaliser encore aujourd'hui avec vous". -----     On voit clairement que tous les détails du récit renvoient à l'Eucharistie :En effet le repas offert par Jésus peut se dérouler n'importe où.Il s'agit d'un Pain "pascal" qui célèbre et réalise la sortie de l'égoïsme du monde de l'argent où tout doit s'acheter, où certains peuvent s'empiffrer tandis que des multitudes meurent de faim.D'un Pain qui a été préparé par des mains humaines mais qui est "pris" en mains, assumé par Jésus - il serait donc faux de réduire ce repas à un geste de solidarité entre hommes.      D'un Pain sur lequel Jésus prononce l'"Eucharistie" (action de grâce adressée à Dieu). Il s'agit d'un Pain "consacré".      D'un Pain qu'il donne lui-même ( Jean a bravé la vraisemblance en précisant que c'est Jésus seul qui a donné à chacun un morceau !?...). En effet même si ce sont les apôtres ou les prêtres qui le distribuent, nous recevons le Pain de Jésus lui-même.Ce Pain est unique, seul capable d'apaiser notre désir profond d'amour, de justice et de paix - alors que les nourritures terrestres ne calment  que nos besoins.Ce Pain, on ne peut le gaspiller : il faut le conserver car à chaque Repas du Seigneur, il y a "des restes" qui seront utilisés ensuite pour les malades.     Ce Pain veut rassembler les hommes et les femmes de toutes conditions et de tous pays pour en faire le Peuple de Dieu uni dans l'amour de Dieu.( Jean ne dit pas "ramasser les restes": il écrit "rassembler" parce que ce mot était utilisé pour désigner les réunions eucharistiques)    Ce Pain a pour but de "sauver" l'humanité, de la retirer du chemin de perdition ( "afin que rien ne soit perdu")    Ce Pain " fait l'Eglise" représentée par les 12 apôtres.A la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient: " C'est vraiment lui le grand Prophète, celui qui vient dans le monde !". Mais Jésus savait qu'ils étaient sur le point de venir le prendre de force et faire de lui leur roi; alors de nouveau il se retira, seul, dans la montagne".Moïse avait dit: " C'est un prophète comme moi que le Seigneur ton Dieu suscitera du milieu de toi, entre tes frères, c'est lui que vous écouterez" ( Deutér.18, 15). Et on pensait que ce prophète pourrait réitérer les merveilles de l'Exode: libération de la servitude, don de manne gratuite. La foule croit donc que Jésus réalise cette figure et elle projette de le couronner. Mais Jésus refuse de se laisser enfermer dans un messianisme terrestre, dans l'image d'un sauveur "social" qui guérit et donne à manger gratuitement. Il grimpe plus haut dans la montagne, il fuit dans la solitude pour rencontrer son Père.Il est donc vain de se demander comment Jésus a "multiplié le pain" (expression qui n'est pas dans le texte). Soyons émerveillés: Jésus accomplit les Ecritures, il conduit l'Exode définitif et il continue à nous inviter à partager "le Repas du Seigneur". Une seule condition: à l'exemple du petit garçon, oser donner ce que l'on a et entrer dans le peuple pèlerin emporté par l'Eucharistie.