Imaginez-vous un instant la situation cocasse suivante : vous vous trouvez par un malheureux hasard au c½ur d'une tribu de cannibales et vous essayez de sauver votre propre peau en posant cette question: Pourquoi mangez-vous des hommes ? Le cannibale vous répondra vraisemblablement qu'en fait, celles et ceux qui les connaissent savent qu'ils ne mangent pas d'hommes. En effet, les cannibales risquent d'être mis à mort sur-le-champ pour avoir attenté à la vie d'un homme, s'ils commettaient pareille ignominie. Mais, pourriez-vous alors protester, je viens juste de vous voir mettre mon meilleur ami dans la marmite. Ce n'était pas un homme, répondra-t-il en agitant avec force la tête. Qu'est-ce qu'un homme alors, lui demanderez-vous anxieusement, conscient de l'extrême importance de la réponse à cette question pour ne pas être le suivant dans la casserole. Un homme est un membre de la tribu, conclura le cannibale. Dans sa culture à lui, si vous n'êtes pas membre de sa tribu, vous n'êtes pas un homme. Vous êtes réduit à de la chair à consommer. Pour ma part, je jouerais sans doute dans la pièce du « veau gras ». Quoiqu'il en soit, si nous avions été confrontés à cette situation, vraisemblablement plusieurs d'entre nous, n'auraient pas compris ces subtilités culturelles.
Il en va sans doute de même avec ces nombreuses personnes qui avaient traité les premiers chrétiens de cannibales puisque ceux-ci mangeait la chair et le sang de Jésus. Ils n'avaient pas non plus compris toutes les subtilités sous-jacentes à ces paroles du Christ : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n'aura plus jamais soif. » Pour entrer dans une telle dynamique, il nous faut d'abord faire nôtre cette autre affirmation du Fils de Dieu :
« l'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. » Il s'agit donc d'abord et avant tout de vivre dans son c½ur une rencontre ; une rencontre dans la foi avec Celui que le Père nous a envoyé ; une rencontre qui nous fait découvrir combien Dieu aime chacune et chacun d'entre nous. Comme le souligne Pierre Claverie, frère dominicain et évêque d'Oran lâchement assassiné le 1er août 1996, Jésus consent à s'abandonner, c'est-à-dire à être dépendant de cette conscience vive de la présence dans sa vie de Quelqu'un qui est le fondement même de sa liberté. En d'autres termes, le Christ consent à ce qu'il y ait en lui une source d'amour, extérieure à lui. En s'inscrivant de la sorte, il devient un homme libre. Comment ? En laissant Dieu être Dieu et en aucune manière en ne cherchant à prendre la place de Celui qui l'a envoyé. Cette expérience n'est en rien banale. En effet, vouloir être Dieu, chercher à se mettre à sa place, se croire tout-puissant, font partie de ces vieux démons qui peuvent nous habiter et nous envahir au point d'en perdre notre liberté intérieure. Nous courrons le risque d'être frustrés car nous n'arrivons pas par notre simple volonté à changer le cours des événements. Cette frustration vient d'un désir étrange : croire en un Dieu qui obéirait à toutes nos attentes, même les plus légitimes surtout lorsque nous sommes confrontés à l'injustice de la maladie ou de la perte d'un être aimé. Or, dès l'instant de la création de l'humanité, Dieu nous a laissé une part de sa toute puissance pour nous permettre, chacun avec nos dons, de participer à la construction d'un Royaume d'amour et de tendresse. Un royaume où seule la douceur règne puisqu'elle est la source de toutes nos actions, de toutes nos paroles. Dieu le Père se laisse advenir par chacune et chacun d'entre nous. Il nous convie ainsi dans la foi à prendre conscience que vit en nous une présence divine, ce Quelqu'un qui nous aime tels que nous sommes et qui nous accompagne sur la route de notre destinée. Aujourd'hui encore, le Christ vient nous révéler que, dans la vie de chacune et de chacun, il y a ce Quelqu'un que, dans la foi, nous osons nommer Dieu et qui nous aime avec une telle force, qu'il nous nourrit d'une confiance telle que nous pouvons avancer plus librement encore sur le chemin de la vie. « Celui qui vient à moi, n'aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n'aura plus jamais soif ». Ces mots ne sont pas vains. Ils nous permettent de découvrir que de mettre nos pas dans les traces du Fils nous ouvre une perspective plus grande encore que nous aurions pu l'imaginer car nous prenons conscience qu'accepter de suivre le Christ et ce, quelque soit notre état de vie, est une occasion unique pour être libre de toutes sortes de contingence car nous serons alors pétris de cette certitude que nous sommes aimés de Dieu. Par le Fils, le Père est entré dans notre vie. Nous avons fait une rencontre merveilleuse. Que l'amour devienne alors l'unique raison de nos vies.
Amen