17e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2005-2006

 

Jn 6, 1-15

Saint Marc nous a raconté que Jésus et ses apôtres, en quête de solitude et de repos, ont été rejoints par la foule. Mais, à partir d'ici, la liturgie "change de disque" et passe à l'évangile de Jean qui va nous rapporter sa version de la suite de l'histoire ("la multiplication des pains") mais enrichie de longs développements - si bien que ce chapitre 6 de Jean va être lu au cours de ces 5 dimanches.

Ce partage du pain est en effet une action d'une importance exceptionnelle : c'est le seul "miracle" de Jésus qui soit rapporté dans les 4 évangiles, dont deux fois chez Marc et Matthieu - ce qui fait 6 versions ! Qu'est-ce que les évangélistes ont compris et que veulent-ils nous transmettre ? Commençons donc le récit de Jean :

Jésus était passé de l'autre côté du lac de Tibériade. Une grande foule le suivait parce qu'elle avait vu les signes qu'il accomplissait en guérissant les malades. Jésus gagna la montagne et là il s'assit avec ses disciples. C'était un peu avant la Pâque, la grande fête des Juifs.

La foule ne court pas après Jésus pour obéir à son message et se convertir mais plus prosaïquement afin d'obtenir des guérisons, sans du tout comprendre qu'il s'agit de "signes". On sait que Jean, pour en parler, n'emploie jamais les mots des autres évangélistes ("actes de puissances", "merveilles"...). Pour lui, ces actions sont des signes, elles sont porteuses d'un sens caché qu'il s'agit de décrypter sous peine de ne voir en Jésus qu'un thaumaturge à qui on arrache des bienfaits corporels.

Ce partage est "signe" de quoi ???...Que veut-il nous dire ?.

Jean note l'endroit (solennel car la montagne est souvent le lieu de la révélation divine) et le temps : on est tout près de Pâque, la grande fête qui célèbre la libération par Dieu des ancêtres hébreux, esclaves en Egypte, la nuit où ils ont mangé l'agneau avec les pains sans levain.

C'est déjà la 2ème Pâque ; lors de la 1ère, Jésus avait accompli le signe de Cana. Tiens ! alors le vin ...et ici le pain.... Suivez les traces !

Jésus leva les yeux et vit qu'une foule nombreuse venait à lui.

Il dit à Philippe : " Où pourrions-nous acheter du pain pour qu'ils aient à manger ?".

Il disait cela pour le mettre à l'épreuve, car il savait bien ce qu'il allait faire.

Philippe lui répondit : " Le salaire de 200 journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain".

Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit :

" Il y a là un jeune garçon qui a 5 pains d'orge et 2 poissons...mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ?".

Curieux : alors que tous les autres "miracles" sont accomplis à la demande des hommes, ici c'est Jésus qui prend l'initiative d'apaiser une faim inexprimée. Mais d'abord il teste la foi de ses disciples qui succombent à l'épreuve. Philippe, tout de suite, calcule l'énorme somme d'argent qui serait nécessaire et que l'on n'a pas. André signale les provisions d'un petit garçon mais elles sont tellement insignifiantes vu les besoins !

Donc à vue humaine, la situation est bloquée, rien n'est possible. D'ailleurs pourquoi se tracasser ? : les gens ne demandent rien !

Ah nos manques de confiance ! Toujours vouloir régler les problèmes à coup d'argent, toujours se plaindre devant les ressources insuffisantes, toujours être écrasés par l'étendue des problèmes à régler ! Ce qui nous permet de justifier notre inaction !

Jésus, lui, a trouvé le "sauveur" : ce petit garçon anonyme et qui devait être un pauvre pour n'avoir que du pain d'orge et non de froment ! Lui au moins ne calculait pas comme les grandes personnes et, généreux, il a tout simplement présenté à Jésus les provisions que sa maman lui avait données pour son excursion.

Bravo petit ! Tu nous apprends à sortir de notre logique si "raisonnable" ( et si mesquine) et à faire confiance au Seigneur jusqu'à tout lui donner...même si c'est disproportionné vis-à-vis des besoins. Devant l'immensité de la misère de l'Inde ou de l'Egypte, deux chrétiennes pauvres, Teresa et Emmanuel, ont récemment prouvé qu'il ne fallait pas attendre la solution du côté des ressources budgétaires.

Jésus dit : " Faites-les asseoir ". Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit.

Ils s'assirent donc, au nombre de 5000 hommes.

Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, les leur donna ; il leur donna aussi du poisson - autant qu'ils en voulaient. Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : " Ramassez les morceaux qui restent pour que rien ne soit perdu". Ils les ramassèrent et ils remplirent 12 paniers avec les morceaux qui restaient...

Au temps de Pâque, après les bonnes pluies d'hiver, l'herbe est abondante : le Bon Berger va pouvoir nourrir son troupeau comme l'annonçait le psaume 23 :

" Et sur des prés d'herbe fraîche il me fait reposer...".

Alors vient la célèbre phrase

IL PRIT ...RENDIT GRÂCE (verbe grec : eucharistein)...DONNA... (Manque le verbe IL ROMPIT - mais après, Jean parlera des "morceaux rompus et ramassés")

C'est exactement la phrase par laquelle les synoptiques raconteront l'institution de l'Eucharistie à la dernière Cène, et que, depuis des siècles, nous entendons à chaque messe !

L'accumulation d'indices nous met sur la piste : il serait bien superficiel de discuter sur l'historicité ou non de l'action de Jésus lors de ce pique-nique. La foi n'est pas de croire que tel fait a eu lieu mais de comprendre ce que le geste de Jésus signifie pour nous aujourd'hui, d'en tirer les conséquences et de nous convertir.

Il s'agit d'un "signe", d'une annonce du partage du Pain...qui sera Jésus lui-même. Mystère que la foule ne peut saisir sur le moment : comme toujours elle en reste à l'aspect extraordinaire, au profit que l'on peut en tirer. Lisons la suite :

A la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : " C'est vraiment lui le Grand Prophète, Celui qui vient dans le monde !?..."

Mais Jésus savait qu'ils étaient sur le point de le prendre de force et faire de lui le roi.

Alors de nouveau il se retira, tout seul, dans la montagne.

Un prophète qui annonce le Royaume de Dieu, qui multiplie les guérisons et qui à présent donne à manger gratuitement : le rêve !!! Il faut le couronner, nous le suivrons dans l'enthousiasme. Jésus perçoit la tentation du Pouvoir, de la maîtrise des masses que l'on s'attache par des prodiges. Alors il s'enfuit là-haut, dans la solitude où il sait qu'il rejoindra son Père dans le secret.

Nous poursuivrons, les prochains dimanches, cette géniale méditation de S.Jean sur le don du Pain. Déjà il a dénoncé nos peurs du partage, nos calculs tatillons, nos excuses pour refuser d'entrer dans une "économie du don".

Il nous a fait percevoir que l'Eucharistie ne commence pas par le rite qui porte ce nom mais par l'écoute de la faim des hommes.

Et le petit garçon se demandera toujours pourquoi nous ne donnons que des broutilles.