Le partage du pain au bord du lac s'est terminé de façon énigmatique : fuyant l'enthousiasme populaire, Jésus a disparu ! La nuit tombée, ses disciples, désemparés, rembarquent pour regagner Capharnaüm. Grosse frayeur : ils voient tout à coup Jésus marcher sur la mer mais Il les rassure : " C'est moi ! Confiance !" et ils accostent. Cet épisode est omis par la liturgie qui aujourd'hui poursuit le long récit du chapitre 6 de saint Jean.
UNE RECHERCHE TRÈS INTÉRESSÉE
La foule s'était aperçue que Jésus n'était pas au bord du lac ni ses disciples non plus. Alors les gens prirent les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L'ayant trouvé sur l'autre rive, ils lui dirent : " Rabbi, quand es-tu arrivé ici ?".
Jésus leur répondit : " Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez non parce que vous avez vu des signes mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés".
Jésus n'est pas dupe : les foules se mettent toujours à la recherche de ceux qui les comblent de cadeaux ou leur offrent plaisirs et émotions. Si l'église était un lieu de guérisons miraculeuses ou de distributions gratuites, elle serait assaillie en permanence de clients intéressés.
Or, tout comme les autres gestes étonnants de Jésus, le partage du pain n'a pas été un prodige mais, comme le répétera chaque fois saint Jean, un signe, c'est-à-dire un fait qui fait réfléchir, qui ouvre à une réalité plus profonde, spirituelle.
Notre corps ressent la faim, il a besoin du pain quotidien, il le cherche avec peine car il sait qu'il meurt s'il vient à en manquer longtemps et il le reçoit avec grande joie si on le lui offre gracieusement.
Mais derrière ce besoin, n'y a-t-il pas un désir ?
La quête du pain n'est-elle pas un indice, un symbole d'une autre faim, d'un désir plus profond ? L'homme ne peut être seulement un animal affamé. Jésus va tenter de guider son auditoire à la découverte de ce désir vital : c'est pourquoi un curieux dialogue s'engage.
Jésus dit : Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd
mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la Vie éternelle,
celle que vous donnera le Fils de l'homme,
lui que Dieu le Père a marqué de son empreinte.
Les gens : Que faut-il faire pour travailler aux ½uvres de Dieu ?
Jésus : L'½uvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé.
Manger est indispensable mais ce n'est jamais qu'un sursis pour prolonger un peu une vie biologique laquelle de toutes façons est condamnée à finir. N'y aurait-t-il pas pour l'homme une nourriture qui lui donnerait la vraie vie, une Vie que la mort ne pourrait anéantir, cette "Vie éternelle" dont l'expérience de l'amour lui donne toujours l'avant-goût ? Car si la mort est définitive, elle est plus forte que Dieu et, dans ce cas, Dieu n'est pas !
Oui, ce pain existe mais il ne peut être le fruit du travail des hommes, "l'½uvre" de nos sciences et de nos techniques, le résultat d' efforts ascétiques ou mystiques. Certes nous jubilons devant l'allongement de "l'espérance de vie" mais les savants reconnaissent que jamais ils ne pourront annihiler la terrible échéance. Nos recherches, nos travaux peuvent bien prolonger la longévité, mais jamais ne produiront l'éternité, apanage de Dieu.
D ' UN PAIN À L ' AUTRE
Stupéfaite, la foule entend cet homme, Jésus, qui ose prétendre que lui, il peut offrir ce Pain - car il ne s'agit pas de "faire". Ce Pain sera cadeau. Il suffit de
CROIRE EN JESUS COMME A L'ENVOYÉ DE DIEU LE PERE
Quelle prétention insoutenable ! Jésus doit la justifier : Il a donné du pain une fois, qu'il recommence donc !
Ils lui dirent : " Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir et te croire ? Quelle ½uvre vas-tu faire ?
Au désert nos pères ont mangé la manne, comme dit l'Ecriture : " Il leur a donné à manger du pain venu du ciel".
Libérés de l'esclavage en Egypte, les Hébreux avaient longtemps erré à travers la péninsule du Sinaï où ils avaient découvert la manne : certains arbres piqués par les insectes exsudent une sève qui se coagule en petites boules blanchâtres et comestibles.
Avec le temps, ce souvenir avait revêtu des dimensions légendaires jusqu'à croire que Dieu avait fait "pleuvoir" une nourriture qui avait permis aux ancêtres de subsister (cf. la 1ère lecture de ce jour). Et on racontait que le Messie, quand il viendrait, referait ces miracles de l'Exode - d'où la demande ici de la foule.
Mais la tradition avait su interpréter théologiquement le miracle de la manne et y avait vu déjà un symbole de la Parole de Dieu. Le grand cadeau de Dieu, au cours de la longue marche vers la terre promise, c'était sa Parole, ses préceptes et ses lois. Ces pauvres nomades, démunis de tout, avaient observé la manière de vivre que Dieu leur avait donnée au Sinaï : c'est pour cette raison qu'ils avaient pu traverser l'épreuve terrible de cette pérégrination et atteindre le but :
Le Seigneur t'a mis dans la pauvreté, il t'a fait avoir faim et il t'a donné à manger la manne...pour te faire reconnaître que l'homme ne vit pas de pain seulement mais qu'il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur (Livre du Deutéronome -- chapitre 8)
C'est en écoutant et pratiquant la Parole de Dieu que l'homme vit vraiment ! Jésus s'appuie sur cette interprétation et la centre sur lui :
Amen, amen, je vous le dis : ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c'est Mon Père qui vous donne le vrai Pain venu du ciel.
Le Pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel
et qui donne la Vie au monde".
Donc l'Exode antique était un "signe", comme une anticipation de ce qui se produit à présent avec Jésus : il fait sortir les croyants hors de l'esclavage du péché et il les conduit vers le Royaume éternel en leur offrant la manne nouvelle, le vrai Pain ! La foule se méprend sur cette promesse : alléchée, elle demande :
"Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours ! "
Jésus leur répond : " MOI JE SUIS LE PAIN DE LA VIE.
Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim ;
Celui qui croit en moi n'aura plus jamais soif".
Jésus est plus qu'un prophète, un porte-parole de Dieu : il est LA PAROLE, LE VERBE DE VIE. Son disciple n'est pas que l'élève d'un sage : en écoutant la Parole de Jésus, en la mettant en pratique, il communie, il entre-en-communion avec Dieu.
Son désir profond est réalisé : il a la Vie éternelle.
Dans une société acharnée à satisfaire les besoins les plus fous,
restons-nous des êtres de désir, de désir de Dieu ?
Acceptons-nous l'errance du peuple pauvre pour être des Vivants ?