17e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1996-1997

Le souvenir du pain partagé a beaucoup marqué les premiers chrétiens. A tel point que les évangélistes racontent six fois une multiplication des pains. C'est sans doute parce que les premières communautés vivaient l'importance du partage.

Aujourd'hui, les gens qui achètent et qui vendent font du commerce. C'est un service bien normal. L'argent sert à régler nos échanges.. Il peut être une manière d'établir entre nous des rapports de justice. Dans nos achats, nous rémunérons avec la monnaie ceux qui nous rendent service en nous livrant les produits dont nous avons besoin. Mais normalement, entre gens qui s'aiment, la loi des échanges n'est plus l'argent, mais le partage. Celui-ci est un signe d'amour fraternel. Ainsi, dans la première communauté de Jérusalem on mettait tout en commun. Le livre des Actes des apôtres nous dit qu'ils "vendaient leurs biens pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun. " Et quelques années plus tard, Paul dans l'épître aux Galates rappelle que le signe d'union entre les chrétiens sera le souci des pauvres.

Mais dans les assemblées des premiers chrétiens, on ne partageait pas seulement le pain, mais aussi le "corps du Christ". C'est pourquoi les évangélistes racontent les multiplications des pains avec les mêmes paroles que celles utilisées dans l'eucharistie. 'Jésus prit les pains, et, après avoir rendu grâce, les leur distribua " Us veulent ainsi montrer que le partage du pain à la messe et le partage dans la vie sont étroitement liés. S.Paul blâmera la conduite des chrétiens de Corinthes qui, refusant de partager entre eux leur nourriture, ont l'audace de célébrer ensuite la Cène du Seigneur. 'J'apprends que lorsque vous vous réunissez, chacun se hâte de prendre son propre repas, en sorte que l'un a faim tandis que l'autre est ivre. Voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? Sur ce point, je ne vous loue pas.

Dans le monde actuel, pour des peuples entiers, il n'y a pas d'autre horizon que la faim. Tant de femmes, d'hommes et d'enfants n'ont pas assez de nourriture pour pouvoir subsister. Beaucoup meurent chaque jour, faute de moyens de se nourrir. Certaines populations ne survivent que grâce à l'aide internationale. Beaucoup d'actions sont entreprises pour venir au secours de ces innombrables affamés. Mais rien ne suffit.

Dans nos pays occidentaux, il y a aussi beaucoup de miséreux. Bien des gens n'ont ni toit, ni salaire, ni emploi. Ce sont les sans-logis. Des personnes sans domicile fixe. On les désigne souvent par des initiales : S.D.F. Cette façon de lés nommer nous camoufle un peu le scandale de cette douloureuse réalité. Beaucoup parmi eux dépendent de la bienfaisance publique. Ce sont souvent des mendiants. Et puis, comment travailler quand on a faim ? Comment aimer ? Comment être heureux de vivre ? Comment avoir confiance ? Pour leur venir en aide, bien des organismes ont d'excellentes initiatives, mais cela ne suffit pas.

Dans la crise d'aujourd'hui, pour beaucoup de travailleurs l'avenir est sombre. Ils craignent de perdre leur emploi, d'être mis au chômage, de basculer dans la précarité et puis dans l'indigence. Les causes de ces désastres sont nombreuses. Parmi elles, il y a principalement la mondialisation de l'économie de marché. Si celle-ci peut apporter du bien-être à beaucoup, elle laisse cependant de côté tant de pauvres ! On peut se demander pourquoi certains sont-ils forcés de se contenter des "miettes", alors que d'autres ont réellement de trop pour vivre ? Pourquoi l'argent se trouve dans les mains de quelques financiers, au heu d'être davantage distribué entre tous ? Certes, chacun pourrait rêver d'un autre monde, où l'important ne serait pas d'accumuler le plus de richesses pour soi, de posséder de plus en plus même si les autres ont de moins en moins pour eux-mêmes... rêver d'un monde où l'on partage avec ceux qui n'ont rien pour leur permettre de se développer et de ne plus mendier... rêver d'un monde où la solidarité a plus de valeur que les cotations en Bourses... un monde où l'on s'entraide et où l'on fait tout pour permettre aux plus faibles de vivre en hommes et femmes fibres... un monde où la famine et la misère seraient à jamais vaincues. Certains diront que c'est une utopie ! Non ! Avec Jésus, ce monde là a déjà commencé ! Lorsqu'il a prit dans ses mains le partage du gamin, les cinq pains d'orge, et qu'il les a distribués, c'est le partage entre tous qu'il a instauré. C'est cela le Royaume qu'il est venu, en son temps, inaugurer ! Ce monde nouveau est donc déjà là.

Remarquez que lorsque l'on garde tout pour soi, c'est parce qu'on a peur de ne pas en avoir assez. Mais chaque fois que l'on partage, il y en a toujours de trop ! C'est déjà le cas défié qui donna tout ce qu'on lui avait donné. Le prophète permet ainsi à Dieu de multiplier le don, bien au-delà de toute espérance. "Donne-le à tous ces gens pour qu'ils mangent, car ainsi parle le Seigneur : On mangera et il en restera." C'est encore le cas, lorsque Jésus partage les pains. On remplit douze paniers avec les morceaux qui restaient des cinq pains d'orge après le repas.

Le pain, pour nous, c'est la nourriture quotidienne. Mais c'est bien plus encore. C'est le travail c'est la dignité, c'est la possibilité d'apprendre et de développer son intelligence, c'est la liberté de parler et de se déplacer, d'avoir des vacances, c'est la joie de connaître, c'est pouvoir choisir l'existence à mener. Tous les humains ont droit à ce pain-là ! Etre chrétien aujourd'hui, c'est travailler afin de "multiplier" ce pain-là. C'est agir partout pour que de plus en plus d'humains puissent se nourrir de ce pain-là.

Jésus a donné à manger. Comment croire en lui sans faire de même ? Comment partager le pain eucharistique, qui est son corps, sans partager aussi nos richesses et nos avantages, avec tous ceux qui ont moins de chance que nous ? Aujourd'hui, les chrétiens ne peuvent être crédibles que s'ils s'efforcent de dresser la table du partage, dans le désert de l'humanité.