18e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1996-1997

Le dimanche passé, Jésus a multiplié les pains pour rassasier la foule qui l'entourait. Aujourd'hui commence le long discours de Jésus où il explique la signification de ce qu'il vient de faire. Derrière son discours, et derrière les questions des juifs, il y a l'histoire de la manne que nous avons entendue dans la première lecture. Israël est dans le désert, dans une terre stérile, sans eau et sans nourriture, et Dieu donne au peuple à manger. C'est un miracle, mais c'est aussi une métaphore. De même que nous avons besoin de bien manger pour bien vivre, pour bien fonctionner au niveau physique, nous avons besoin de quelque chose pour bien vivre au niveau plus personnel. Comme on le disait autrefois, si on a besoin d'une nourriture physique, on a besoin aussi d'une nourriture spirituelle.

Cette métaphore semble quasi naturelle. On peut dire plus ou moins la même chose en parlant de la faim. Il y a en Afrique du Sud aussi un grand désert aride. Il y a un peuple qui habite ce désert. Ces gens ont du mal à vivre ; la nourriture n'est pas facile à trouver. Pour eux, la faim est un élément central et quotidien de la vie. Ils ont un vocabulaire intéressant : ils parlent de la grande faim et de la petite faim. La petite faim est la faim, l'absence de nourriture, tandis que la grande faim, la faim la plus importante, est ce qu'on pourrait appeler une faim spirituelle, l'absence de Dieu.

Ce n'est pas difficule à comprendre. La faim, l'absence de nourriture, c'est l'estomac vide, et c'est la fatigue, la faiblesse et la douleur qu'il entraine. Quand on a faim on doit manger, il n'y a pas de repos, pas de paix, avant qu'on ne se remplisse la bouche. Mais, après un certain temps, on s'y habitue, on ne sent plus le manque de nourriture, on s'engourdit. C'est comme si on avait mangé, comme si on n'avait plus hesoin de nourriture, sauf que la faiblesse et la fatigue restent. Il peut sembler que la faim est vaincue, parce que cela ne fait plus mal. Mais c'est parce qu'on n'est plus assez vivant pour souffrir, la machine du corps a déjà commencé à s'arrêter, la vie commence à s'éteindre. On cesse de chercher la nourriture. Il peut y avoir une sorte de confort dans cette condition, parce qu'on ne sent plus rien, mais en fait, c'est le triomphe de la faim ; on n'est pas loin de la mort.

La grande faim, la faim de Dieu, est semblable ; il s'agit d'un vide, d'une lassitude, d'une faiblesse. Mais ce n'est pas la faim de la nourriture. Le vide n'est pas dans l'estomac, mais dans la vie. La vie semble dépourvue de sens, elle ne nous nourrit pas. On est lassé par les tâches multiples de chaque jour, qui semblent de plus en plus lourdes et embêtantes. Le monde devient gris et plat, et l'existence devient pénible. Il est possible de s'habituer à ce vide de sorte qu'on ne le remarque plus. Alors le vide semble la condition humaine naturelle, et on ne remarque pas qu'il manque quelque chose, on ne cherche plus. On comprend la vie et le monde comme si ses besoins sprituels n'existaient pas, comme si Dieu n'existait pas. Il y a une sorte de bonheur dans cette condition, mais c'est le bonheur de l'oubli, c'est le triomphe du vide.

Il y a donc une grande ressemblance entre ces deux faims, c'est pourquoi il est naturel d'employer le mot « faim » en parlant des choses spirituelles. Mais il y a aussi une différence importante, et c'est une différence qu'indique Jésus. Quand on a l'estomac vide, on peut, si les circonstances le permettent, travailler pour se rassasier. On peut aller à la chasse des bêtes sauvages, on peut cultiver des plantes. Par son travail, on peut se nourrir. En fait, les premières pages de la Bible font le lien entre manger et travailler : Dieu dit à Adam « Le sol sera maudit à cause de toi. C'est dans la peine que tu t'en nourriras tous les jours de ta vie... A la sueur de ton visage tu mangeras du pain ». Par contre, le vrai pain dont parle Jésus ne sort pas du sol, il tombe du ciel. On ne doit pas travailler pour le produire, et on ne peut pas. C'est gratuit, et cela a l'aspect d'un don ; Dieu le donne. Si on veut être rassasié, il faut d'abord s'ouvrir à recevoir le gratuit. Quand les juifs demandent à Jésus « Que faut-il faire pour travailler aux oeuvres de Dieu ? », lui répond « L'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé ». Mais croire en Jésus n'est pas travailler, c'est cesser de travailler, cesser de s'occuper de ce qu'il faut faire, pour s'ouvrir, pour se permettre de recevoir le don de Dieu. La première lecture dit la même chose : les cailles descendent sur camp après le coucher du soleil, après la fin de la journée, quand on ne travaille plus. Et la manne est déjà là le lendemain quand les gens se lèvent. Dieu donne dans la nuit, et la nuit est le temps de repos, où on ne travaille pas.

Dans un monde qui prône la valeur du travail et du non-gratuit, de ce qu'on achète, il n'est pas toujours facile d'être simplement passif, ouvert à recevoir le gratuit, d'accepter le fait que notre nourriture ne vient pas de nous-mêmes, mais c'est ce qu'il faut. Il faut accepter le gratuit, et en reconnaître la gratuité en disant merci. C'est pourquoi nous nous sommes réunis aujourd'hui, pour recevoir à cette table le pain que Jésus nous donne, et pour en rendre grâce.