A la lecture de cet évangile, je me suis imaginé devant une télévision regardant les résultats de l’euro-million. Et je voyais les boules numérotées qui tournaient puis l’une après l’autre montrait le chiffre qu’il fallait avoir inscrit sur son bulletin du Lotto. Le verdict est alors tombé quand la voix off a annoncé : les numéros gagnants sont le cinq, le deux, le cinq mille et le douze. Etais-je parmi les heureux élus, me suis-je demandé ? Je me suis alors rappelé que certains Pères de l’Eglise, les premiers théologiens de notre ère chrétienne, soulignaient l’importance des chiffres dans le récit que nous venons d’entendre : cinq pains d’orge et deux poissons ; cinq mille hommes et douze paniers. Cinq pains d’orge pour nous rappeler les cinq livres de la Torah qui forment le Pentateuque. Deux poissons en signe des deux testaments qui composent la Bible. Cinq mille hommes pour nous dire l’universalité du message à propager et douze paniers, symbole de la nourriture que donneront les apôtres à tous celles et ceux à qui ils s’adresseront. Voilà donc pour les chiffres du jour. Toutefois, nous pouvons poursuivre une logique mathématique en additionnant les deux premiers. Cinq plus deux égale sept. Et sept est le chiffre de la perfection à atteindre pour un être humain. Alors que le chiffre huit était réservé à la perfection divine d’où la construction d’églises octogonales comme celle dans laquelle nous célébrons aujourd’hui.
Toutefois, par delà ces considérations mathématiques, il aura suffit d’une seule et unique personne : un jeune homme. Un jeune homme par ailleurs quelque peu inconscient puisqu’il montre ce qu’il possède : cinq pains d’orge et deux poissons. Si une telle foule était affamée, nous nous attendrions plutôt à ce que ce jeune homme cache ce qu’il possède car il risquerait de se faire voler ce qu’il a. Et dans le récit que nous venons d’entendre, c’est tout le contraire. Il ne craint pas d’exposer ce trésor qu’il a entre ses mains. Un trésor qui va pouvoir être fractionné afin de nourrir toute cette assemblée. Ce jeune homme est le premier signe de cet épisode de l’évangile. Il est signe de ce qu’il possède et peut apporter aux autres en remettant entre les mains du Fils de Dieu tout ce qu’il a, tout ce qu’il est. N’en va-t-il pas de même pour nous aujourd’hui ? En effet, de quelles manières, sommes-nous à notre tour signes les uns pour les autres ? En d’autres termes, qu’avons-nous à offrir de nous-mêmes ? Toutes et tous, sans exception, nous avons reçu de la Vie des dons, des qualités inestimables. Il est vrai que dans notre culture contemporaine, il vaut mieux parler de ses défauts plutôt que de ses dons et qualités. Reconnaître ces derniers est souvent perçu comme étant de la prétention, voire un manque d’humilité. Et pourtant, pourtant, si nous voulons construire le Royaume de Dieu tel qu’il nous a été confié, nous avons à mettre en avant ce qui fait la richesse de notre être. C’est à partir des dons et des qualités qui sont nôtres que nous pouvons façonner la Création. En aucune manière, je ne nie le fait qu’il y a en chaque être humain des failles, des fragilités, parfois aussi des incohérences qui constituent les zones d’ombre de nos personnalités mais comme j’aime le souligner, n’oublions jamais qu’il faut toujours du soleil pour voir l’ombre ou pour reprendre cette béatitude contemporaine : « heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière ». La lumière est donc en tout être humain. Dans la foi, elle est d’origine divine. Notre lumière intérieure est composée de ces dons et ces qualités qui accomplissent notre humanité. Ne les rejetons pas. Ne les dénigrons pas. Reconnaissons qu’ils sont là et que nous avons comme finalité non pas de nous en enorgueillir mais plutôt de les accepter afin de les remettre entre les mains du Fils de Dieu. Offrons-Lui le meilleur de ce que nous sommes pour qu’à nouveau il le fractionne et le partage en vue de nourrir celles et ceux de qui nous nous faisons proches. Dieu a besoin de nous. Il quémande tout ce que nous possédons de lumière en nous pour éclairer notre monde aux couleurs de l’évangile. Il a suffit d’un jeune homme avec cinq pains d’orge et deux poissons. Il suffit aujourd’hui de chacune et chacun de nous. Offrons-Lui qui nous sommes.
Amen